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DROIT D’AUTEUR DROIT DE LE’HOMME

par | 20 Août 2021

DROIT D’AUTEUR DROITS DE L’HOMME

Jacques Boncompain

Les Etats, les gouvernements trouvent leur justification dans leur contribution au bonheur des hommes et ce bonheur ne s‘épanouit que dans la liberté. Le sage indien Swami Vivekananda aimait à dire : « L’homme est l’être le plus élevé de la création parce qu’il parvient à sa liberté. » Le fait que l’homme « parvienne » à sa liberté montre qu’il n’est pas accompli et qu’on ne saurait faire son bonheur malgré lui. Il lui appartient de se prendre en charge comme il appartient au corps social de lui donner les moyens de son indépendance d’esprit, laquelle va de pair avec un minimum d’indépendance matérielle. L’homme se construit lui-même, il « sculpte sa propre statue », pour reprendre l’expression de Paul Valéry, il est l’artisan de lui-même et devient le coauteur de sa personnalité. Dans son admirable Lettre aux artistes le pape Jean-Paul II souligne que dans l’homme artisan se reflète l’image de Dieu, son Créateur. Les anciens écrivaient sur un papyrus avec un roseau et en ce sens l’observation de Pascal prend un sens particulier : « L’homme est un roseau, mais c’est un roseau pensant. » Créé, l’homme est également auteur par destination. Cela ne signifie pas qu’il soit toujours capable de créer des œuvres distinctes de lui-même, reconnaissables par les autres hommes qui s’y chercheront, y éprouveront leur humanité, s’y reconnaîtront ou s’en distingueront, y prendront appui pour soutenir leur rêve, leur réflexion, accroître leur état de conscience source d’une liberté toujours plus grande. Seul un petit nombre d’hommes est capable d’extérioriser son pouvoir créateur et ces hommes méritent attention, parce qu’ils sont des hommes, bien sûr, mais également parce que leurs oeuvres contribuent de façon décisive à l’épanouissement de leurs semblables. N’est pas Mozart qui veut mais Mozart communique son inspiration créatrice à des foules sans nombre. La protection des auteurs, de ce point de vue, n’est pas seulement un acte de justice mais aussi une nécessité sociale.

Les auteurs sont souvent en avance sur les politiques. Dès 1777 Beaumarchais, soucieux de réformer les abus de la Comédie-Française, réunit chez lui, selon l’expression de Diderot, « les Etats-Généraux du Théâtre ». Il fonda ainsi la première Société d’auteurs du monde – aujourd’hui la SACD – et définit avec ses pairs, à partir d’un conflit particulier, des règles à portée universelle, dans l’esprit du Siècle des Lumières, qui seront reprises, sous sa pression, par le législateur révolutionnaire et entreront dans le droit positif. Le 24 août 1790 une députation d’auteurs, de haute lutte, parvint à gagner la tribune de l’Assemblée Nationale. Parmi les personnalités présentes figuraient le révolutionnaire Collot d’Herbois et le sulfureux Marie-Joseph Chénier, frère du poète, auteur de Charles IX. La Harpe prit la parole au nom de tous : « Messieurs, tous vos moments appartiennent à la patrie : ils sont consacrés à des objets d’une haute importance. Nous avons cru cependant que vous pourriez en accorder un aux intérêts d’une classe d’hommes qui, sous le seul rapport de l’instruction publique, serait encore digne de l’attention des législateurs, quand même d’autres considérations politiques ne l’ussent pas liée dans tous les temps à la grandeur et à la postérité des Etats… Ce sont des gens de lettres, ce sont eux seuls qui ont affranchi l’esprit humain… » La députation reçut les honneurs de l’assemblée, l’impression de l’adresse fut décrétée et son étude renvoyée au comité de Constitution.

Il faudra attendre les 13 et 19 janvier 1791 pour que la Constituante reconnût par décret la propriété dramatique. Beaumarchais alors de s’écrier : « Il est bien étrange qu’il ait fallu une loi expresse pour attester à toute la France que la propriété d’un auteur dramatique lui appartient, que nul n’a le droit de s’en emparer ! Ce principe, tiré des premiers droits de

l’homme, allait tellement sans le dire… qu’on aurait cru dérisoire d’être obligé de l’établir par la loi. Ma propriété seule, comme auteur dramatique, est plus sacrée que toutes les autres, car elle ne me vient de personne et n’est point sujette à conteste pour dol ou fraude ou séduction ; ma propriété seule a eu besoin qu’une loi prononçât qu’elle est à moi ! » Peu auparavant le Chapelier, au nom du Comité de Constitution, avait déclaré, paraphrasant Beaumarchais : « La plus sacrée, la plus légitime, la plus inattaquable et… la plus personnelle des propriétés est l’ouvrage de la pensée d’un écrivain. »

De ces considérations il résulte que le droit d’auteur ne devrait pas avoir de frontières. Aussi, sous l’impulsion des auteurs, des traités bilatéraux furent conclus dont le nombre ne cessa de croître. Leur inconvénient était de multiplier frais, formalités, conditions particulières qui en ruinaient l’objet. Un ami des arts, le comte Siméon, en 1839, à la Chambre des Pairs, puis Lamartine, à la Chambre des Députés, en 1841, appelèrent de leur vœu l’adoption d’une loi internationale s’appliquant à tous. Ce vœu fut repris en 1858 lors d’un congrès réunissant à Bruxelles 81 sociétés composées d’intellectuels appartenant à 14 Etats. Mais il revint à un ancien président de la SACD, au colosse des lettres du XIX° siècle, au président fondateur de l’Association Littéraire et Artistique Internationale à Paris, il revint à Victor Hugo, en 1878, de presser le gouvernement français de susciter la réunion d’une conférence diplomatique qui élaborerait une convention multilatérale sur la propriété littéraire et artistique. Alors que l’Exposition Universelle déployait ses fastes dans Paris, il s’adressa aux gens de lettres en ces termes :

« Messieurs, ce n’est pas pour un intérêt personnel ou restreint que vous êtes réunis ici ; c’est pour l’intérêt universel. Qu’est-ce que la littérature ? C’est la mise en marche de l’esprit humain. Qu’est-ce que la civilisation ? C’est la perpétuelle découverte que fait à chaque pas l’esprit humain en marche ; de là le mot Progrès. On peut dire que littérature et civilisation sont identiques…. Messieurs, votre mission est haute. Vous êtes une sorte d’assemblée constituante de la littérature. Vous avez qualité, sinon pour voter des lois, du moins pour les dicter. Dites des choses justes, énoncez des idées vraies, et si, par impossible, vous n’être spas écoutés, eh bien, vous mettrez la législation dans son tort. Vous allez faire une fondation, la propriété littéraire. Elle est dans le droit, vous allez l’introduire dans le code. Car, je l’affirme, il sera tenu compte de vos solutions et de vos conseils. Vous allez faire comprendre aux législateurs, qui voudraient réduire la littérature à n’être qu’un fait social, que la littérature, c’est le gouvernement du genre humain par l’esprit humain. La propriété littéraire est d’intérêt général. »

Il appartint au gouvernement helvétique de réunir à Berne plusieurs conférences diplomatiques dont la dernière en 1886 déboucha sur la convention dite de Berne. En 1811 le comte de Montalivet, le premier, avait prôné, dans les relations entre la France et l’Italie, l’assimilation de la condition de l’auteur étranger à celle de l’auteur national. Ce principe fut alors étendu à tous les auteurs des Etats signataires de la nouvelle convention devenue la Mare nostrum des créateurs, un espace de civilisation où les auteurs peuvent revendiquer le respect de leurs droits personnels et matériels selon des règles assez générales pour s’appliquer aux situations nouvelles, entre gens de bonne foi. Mais la Convention de Berne ne réunissait pas tous les suffrages. En, raison de la pression morale exercées sur eux certains Etats se résignèrent à protéger les œuvres des auteurs étrangers de la même manière que celles de leurs ressortissants, mais sans atteindre le degré de protection assuré par la Convention de Berne. D’où l’adoption en 1952, dans le cadre de l’UNESCO, de la Convention Universelle, dite aussi Convention de Genève, qui eut le mérite d’étendre le champ géographique de protection des auteurs. Parmi les signataires figuraient les Etats-Unis qui n’adhérèrent à la Convention de Berne qu’en 1998 lorsqu’ils furent convaincus que, devenus largement exportateurs d’œuvres, ils y avaient avantage. Il reste qu’en tous pays, même en ceux en apparence les mieux disposés à leur égard, les auteurs peinent à obtenir dans les faits une

protection qui leur revient de droit, particulièrement lors de la mise en œuvre de nouveaux moyens techniques de communication : câble, satellite, reprographie, copie privée sonore ou visuelle.

Le droit d’auteur englobe tous les droits de l’homme. La déclaration des droits de 1789 le passait sous silence. Renée Cassin insista pour qu’il figurât en toutes lettres dans la déclaration universelle adoptée en 1948. Il obtint satisfaction et l’article XXVII consacré à la propriété comprend un paragraphe ainsi libellé : « Chacun a droit à la protection des intérêts moraux et matériels découlant de toute production scientifique, littéraire ou artistique dont il est l’auteur. » Quand l’auteur demande protection au législateur, il ne fait que demander ce que tout citoyen est en droit d’attendre. Prenons les prérogatives morales : le droit de divulgation découle du droit de chacun de communiquer ou de ne pas communiquer, du secret des correspondances, de la non immixtion dans la vie privée, la famille ; le droit au respect de l’œuvre, du droit à l’honneur, au respect de sa réputation. Tout citoyen doit pouvoir s’opposer à la déformation de ses propos, à l’association de son image à des publicités : ainsi de l’auteur pour son œuvre, émanation de sa personnalité.

Le père Jérôme, moine cistercien, disait à un novice : « On humilie et on peine un artiste en exigeant quelque modification, car une œuvre d’art fait un tout ; il est peut-être plus humain de la refuser en bloc que de la modifier. Quand l’artiste se retrouve en présence d’une de ses œuvres, il en voit certes les insuffisances ; mais il voit aussi ce qu’elle contient de beauté ! Et il est comme étonné que cette beauté, dans cette œuvre là, vienne de lui ; et il craint de ne pouvoir, une autre fois, dans une autre œuvre, produire de la beauté. Les réussites d’un artiste sont mêlées de nostalgie et d’inquiétude. » Aussi, tout pouvoir donné à l’auteur sur son œuvre, tout renforcement de son indépendance, sont une assurance donnée au public de l’authenticité de la création. La liberté de l’auteur active celle du public.

S’agissant des prérogatives matérielles, reportons-nous à l’article XXIII alinéa 3 de la Déclaration Universelle: «Quiconque travaille a droit à une rémunération équitable et satisfaisante lui assurant ainsi qu’à se famille une existence conforme à la dignité humaine. » A ceci prés qu’il est de beaucoup préférable pour l’auteur de vivre de l’exploitation de ses œuvres que d’être tributaire de bourses ou d’autres formes de mécénat, sans doute bienvenues, mais qui le placent dans une position de dépendance matérielle, voire intellectuelle. Précisons qu’un Etat qui, dans sa législation, reconnaîtrait les prérogatives évoquées, mais entraverait la liberté d’ aller et venir, d’ accéder aux connaissances, d’expression par la plume et la parole, ne respecterait pas pleinement le droit d’auteur.

Nous pouvons nous étonner, dans ces conditions, de la lenteur de la reconnaissance du droit d’auteur, de la constante obligation imposée à ses bénéficiaires directs d’en faire la démonstration, de leur difficulté d’obtenir du législateur qu’il en tire toutes les conséquences et en temps opportun. C’est que l’auteur se heurte à des obstacles également redoutables : le droit au savoir, les prétendues nécessités techniques et économiques. Nombreux sont ceux qui tirent argument de l’importance des œuvres dans la formation des consciences et de la personne pour s’opposer à leur protection. En cela l’article XXVII paragraphe 1 de la Convention Universelle leur offre un argument de poids, qui stipule : « Toute personne a le droit de prendre part librement à la vie culturelle de la communauté, de jouir des arts et de participer au progrès scientifique et aux bienfaits qui en résultent. » L’auteur lui-même ne forme-t-il pas son esprit et sa sensibilité en puisant dans le patrimoine culturel constitué par les générations précédentes ? Ne s’exprime-t-il pas dans une langue qui lui est donnée ? En retournant le champ des connaissances, il entretient un domaine où il a fait mûrir son génie. Son œuvre serait donc le juste tribut de sa formation. Il ne saurait revendiquer sur elle un droit privatif sous peine de faire obstacle à la liberté de communication des pensées et des opinions, au libre accès à la culture. Le public ne doit pas dépendre de son caprice pour accéder ou non à une œuvre considérée comme un bien de première nécessité.

Oublions un instant le droit naturel de l’auteur, et ne regardons que l’intérêt public. Cet intérêt bien compris milite en faveur de la protection des auteurs. Le droit d’auteur n’est pas un obstacle au renouvellement culturel, mais sa condition. Nombre de pays l’ont compris, et parmi eux figurent des pays en voie de développement. Ainsi en Afrique de nombreuses lois sont adoptées en cette matière et des sociétés d’auteurs constituées, sociétés sans lesquelles une législation, même excellente, demeurerait lettre morte. Dans les faits, l’ignorance du droit d’auteur, les libertés prises avec ses principes, sont infiniment plus dommageables à la collectivité que leur respect. Déposséder l’auteur revient à le décourager et l’appauvrir. Son répertoire en sera marqué négativement.

Les adversaires du droit d’auteur mettent également l’accent sur son coût qui serait trop élevé, or le montant des redevances n’entre que pour une faible part dans le prix de vente des œuvres. C’est si vrai que le prix d’une œuvre protégée est sensiblement le même que celui d’une œuvre du domaine public. Les exploitants eux-mêmes ont besoin d’une protection juridique afin de rentabiliser leurs investissements. A l’origine, le privilège – sorte de monopole d’exploitation – fut accordé par le Prince à la personne de l’imprimeur, jusqu’à ce qu’une analyse plus fine de la situation ne le conduisît à l’attribuer aux auteurs. Les exploitants des nouveaux moyens de communication exercent aujourd’hui de fortes pressions afin de devenir les premiers titulaires du droit aujourd’hui attribué aux auteurs, ce qui constituerait une régression. Titulaire de son droit l’auteur est en mesure de s’organiser, de négocier, de garder un certain contrôle sur la conception, la forme d’exploitation de son œuvre. Mettre l’auteur à la merci de l’exploitant reviendrait à le dégrader.

En France même, à la télévision, des œuvres de l’esprit sont coupées de publicités intempestives et il arrive que des programmes soient conçus comme des supports de campagnes publicitaires. Or, à y regarder de plus prés, l’auteur n’est pas le seul à être victime de cette situation ; le public l’est tout autant qui se voit offrir une sous culture et se trouve ravalé du rang de citoyen à celui de consommateur, l’œuvre se changeant en produit. De cela un Etat fidèle à sa mission d’épanouissement de ses concitoyens, peut-il se désintéresser ? Il convient d’associer les auteurs à la programmation, de mettre à leur disposition les moyens techniques suffisants, de préserver leur autonomie de conception des œuvres, tout en assurant l’expression de la pluralité des tendances esthétiques. De cette liberté créatrice naîtront des œuvres susceptibles d’entretenir la réflexion de l’homme sur lui-même. Tout pouvoir dont est investi l’auteur est un placement sûr pour le rayonnement de l’Etat, l’éduction de sa population. La manière dont un Etat traite ses créateurs, quels qu’ils soient, d’où qu’ils viennent, est un élément important d’appréciation de son degré de civilisation.

Des Etats sont davantage importateurs qu’exportateurs d’œuvres contemporaines. Ils craignent alors que la reconnaissance d’un droit d’auteur n’entraîne une sortie de devises et se montrent, au mieux, attachés à une stricte réciprocité avec les autres Etats. L’expérience montre, cependant, que réserver le bénéfice du droit d’auteur aux nationaux revient à promouvoir le répertoire étranger libre de tous droits, au détriment des œuvres nationales. C’est, historiquement, par l’apport aux nouvelles Sociétés d’Auteurs locales, du répertoire des sociétés étrangères, que les auteurs d’un pays ont acquis une force de négociation leur permettant de traiter à des conditions honorables sur leur propre territoire. Rappelons enfin que les droits d’auteur ont un caractère alimentaire et devraient, de ce fait, être librement transférables et échapper à la double imposition, d’autant que les sommes en jeu sont minimes à l’échelle de l’ensemble des échanges des Etats.

La culture est le ciment d’une société. Chaque auteur est particulier, en ce qu’il appartient à une culture dominante. En cela il est Persan, au sens de l’exclamation de Montesquieu dans ses Lettres Persanes : « Comment peut-on être Persan ? » Chaque auteur est universel, comme homme, au sens où l’entendait Térence : « Je suis homme et rien de ce qui est homme ne m’est étranger. » Les gouvernements ont donc, entre autres raisons de protéger les auteurs : l’unité nationale et la compréhension des peuples. N’en doutons pas, ainsi que Victor Hugo le soulignait au congrès fondateur de l’ALAI, les auteurs sont plus grands qu’eux-mêmes. Le droit d’auteur est un droit de l’homme ; tout progrès enregistré dans un pays à son sujet l’est pour la communauté internationale des auteurs et des hommes.

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