« Je brûlerai ma gloire »
Tandis que la Vème République allait déclarer 2020 « année de Gaulle »[1], Jacques Boncompain livrait une très substantielle étude consacrée au maréchal Pétain, sous le titre très évocateur : « Je brûlerai ma gloire »[2].
Juriste de formation, Jacques Boncompain a consacré plusieurs ouvrages à l’étude de la « condition des auteurs »[3]. Les nombreuses archives consultées pour son Dictionnaire de l’épuration des gens de lettres paru en 2016, l’ont naturellement conduit à tenter de comprendre, puis à expliquer comment, ce qu’il appelle « le combat singulier » entre le Maréchal Pétain et le général De Gaulle, avait abouti à une défaite apparemment sans appel du premier, au profit de celui qui lui devait tout. Il faut saluer ce travail. Le résultat est à la hauteur des deux protagonistes, mais aussi du caractère religieux de l’histoire de France. Connaissant le caractère « conflictuel » de son sujet, l’auteur n’avance rien qui n’ait été vérifié, comparé, soupesé. Les sources citées en disent long sur ce qu’on peut qualifier de travail de bénédictin[4] : aux nombreuses archives publiques et privées, il faut ajouter un nombre tout aussi impressionnant d’ouvrages historiques et de témoignages. Le ton mesuré et réfléchi de Jacques Boncompain ajoute encore à la démonstration.
Nous ne pouvons bien évidemment rendre compte en quelques lignes d’un tel travail. Simplement, nous voudrions en souligner quelques aspects saillants pour démontrer à nos lecteurs combien ce combat Pétain/De Gaulle est loin d’être terminé. S’il porte en lui les germes de notre décadence actuelle, il laisse entrevoir le dur chemin d’une reconquête plus que jamais nécessaire.
Une gloire offerte
Lorsqu’il est appelé au pouvoir le Maréchal dit faire non seulement « don » de sa personne à la France, mais il ajoute en privé : « Je brûlerai ma gloire », ce qui pour un soldat est le bien le plus précieux, car il touche à son honneur.
La défaite de 1940 est sans précédent. L’histoire montre un pays menacé de disparition, en particulier à cause d’un natalité déficiente. Là est la clé du comportement du Maréchal : la France ne peut indéfiniment sacrifier ses jeunes dans des combats perdus. En arrêtant les combats, Pétain entend assurer la survie du pays. Mais il sait qu’on lui imputera tous les échecs de la politique à venir.
Dès le début, De Gaulle dénie toute légitimité au Maréchal qui a pourtant été proposé par le Président du Conseil Paul Raynaud, alors que lui même a été fait sous-secrétaire d’État à la guerre par ce même Paul Raynaud. Loin d’être le dictateur décrit par certains, Pétain doit faire face, avec beaucoup de prudence, aux contraintes exercées sur le pays par un ennemi de plus en plus implacable. Même si certaines erreurs sont à relever, comme celle d’avoir voulu remanier notre administration, tous s’accordent à penser qu’il convient de refonder les institutions.
L’ appel à un sursaut moral
La démonstration est faite que Pétain n’a pas fait de coup d’État et qu’il n’a donc pas porté atteinte au régime républicain. Les pleins pouvoirs qu’il reçoit ont déjà existé sous la IIIème République. Le Maréchal prend donc très a coeur l’élaboration de la constitution dont il est chargé. Il n’abolit pas la démocratie, mais cherche à la réformer, comme De Gaulle le fera en 1958 dans une constitution très voisine du projet Pétain du 30 janvier 1944.
Tout ceci montre que le problème est ailleurs. La reconstruction de la France exige un remède plus fort qu’un simple texte constitutionnel prorogeant peu ou prou celui de 1875 ; Pétain l’appelle « Révolution nationale ». Cependant il n’aime pas ce terme. Il a raison, car dans notre histoire la Révolution est synonyme de violence, voire de Terreur. Il veut tout autre chose : un sursaut moral, sans remettre en cause les valeurs universelles de la République qui sont la liberté, l’égalité et la fraternité. Plus qu’une continuité entre les constitutions, il veut une continuité de la France. Il faut un redressement spirituel pour sauvegarder l’âme de la France et substituer la notion de communauté à l’individualisme destructeur de la société française. Apparaît ainsi la notion de Bien commun. Les réformes entreprises alors le sont dans cette perspective, avec une force donnée à l’exécutif qui n’avait cessé d’être réclamée sous le régime précédent. Tout cela est aujourd’hui bien oublié. Mais à l’époque Pétain est devenu un « phare ».
Le retour à la France réelle
Ce retour passe d’abord par l’indépendance du pays. Pour le Maréchal, cette indépendance a été mise à mal par une idéologie étrangère à l’esprit français : la franc-maçonnerie. On dépasse ici la stricte organisation institutionnelle. Jacques Boncompain voit bien que l’action qui va alors être menée pèse lourd dans la balance du régime de Vichy.
Le Maréchal n’aime pas la franc-maçonnerie car elle pervertit la société. Notre auteur en donne une histoire très passionnante et circonstanciée qui explique comment cette idéologie est devenue un Etat dans l’État. Le constat est d’autant plus grave que la franc-maçonnerie revendique sa contribution au succès de la République par sa main-mise sur l’enseignement et sa lutte contre le catholicisme. Elle singe d’ailleurs le catholicisme. Notre auteur fait remarquer au passage que, tout au long de sa carrière, De Gaulle a été aidé par elle. Ceci explique que, une fois venu au pouvoir, il voudra lui rendre force et vigueur.
L’indépendance de la France est aussi mise à mal par une influence étrangère au peuple français. Cette influence est celle exercée par le peuple juif. Au sujet de « la condition des israélites », Jacques Boncompain rappelle d’abord que la République a été ségrégationniste dès le début, tout particulièrement lorsqu’elle a massacré les Vendéens en raison de leur origine. Il a beaucoup été reproché à Vichy son antisémitisme. Au terme d’une analyse très serrée de ce phénomène en Europe, il apparaît que que ce sentiment est la marque d’un retour au paganisme. Dans leur grande majorité les chrétiens n’y adhèrent pas. Le soutien de Pie XII aux juifs est bien connu ; doivent s’y ajouter les nombreuses initiatives de la France chrétienne. Confronté à la volonté des nazis d’éliminer les juifs, le Maréchal sait que le pays peut y perdre son âme. L’ennemi a en effet une grande capacité de nuisance et de dissimulation qu’il ne faut pas sous-estimer. La solution finale est, à l’époque, simplement inimaginable ; on en a connu très tard les détails. Le gouvernement tente de ralentir le processus de destruction. Les chiffres parlent : la France est le pays où il y a eu le moins de victimes : 25 %, contre 75 % en Hollande et 98 % en Pologne. A juste titre, les Allemands voient dans le Maréchal le principal obstacle à la solution finale. Mais le silence s’est fait sur l’action de son gouvernement pour défendre les Juifs, alors qu’on omet de relever que De Gaulle et la Résistance n’ont rien fait en la matière. Est aussi omis le fait que les Allemands étaient passés maître dans l’art de faire collaborer leurs victimes à leur asservissement. La documentation de Boncompain sur ce fait est extrêmement instructive.
S’il y avait un antisémitisme chez Pétain, il consistait à interdire une trop grande influence des Juifs dans les postes de commande de la société[5]. Mais le statut, adopté par son gouvernement pour éviter les mesures des nazis, va tout brouiller de sorte qu’il est difficile – reconnaît l’auteur – de démêler dans l’action du Maréchal ce qu’il a épargné « d’avanies de celles qu’il a pu susciter ».
L’indépendance de la France souffre aussi de l’idéologie révolutionnaire répandue par le socialisme et le bolchevisme.
Après la grande guerre, le socialisme s’est radicalisé. Avec Léon Blum il dénonce la patrie, la famille et la religion. Jacques Boncompain fait une analyse très circonstanciée et passionnante de cette évolution. Rendu pour beaucoup responsable de la catastrophe de la défaite, Léon Blum a cru à ses illusions. Il y a chez lui « une mystique de la République » et un discours religieux ; cette nouvelle religion a son dogme dans la Déclaration des droits de 1789. Finalement, le socialisme se prend pour le Dieu qu’il rejette. Pétain, qui voulait rendre à la France la religion qui l’avait faite, est à l’opposé de cette démarche.
Le hiatus est le même avec le communisme. C’est au nom du gouvernement du peuple que le parti communiste sacrifie l’indépendance de la France. Tout d’abord compagnon de route de l’Allemagne nazie alliée des soviétiques, il souhaite la défaite de l’armée française. Puis, quand l’Allemagne entre en guerre contre l’URSS, toujours au nom de la même idéologie, il fait le choix de la guerre civile pour la France. Les attentats qu’il commet entraînent des représailles disproportionnées.Ceci n’empêche pas le général De Gaulle de conclure un accord avec lui en janvier 1943 pour, moyennant son soutien, le dédiaboliser. A la Libération le parti communiste se présentera comme le principal résistant. Grâce au général, le communisme prendra peu à peu le contrôle du nouveau régime. Le bilan économique de cette mainmise, très bien mis ici en évidence, est catastrophique.
La France sauvée malgré tout
Il y a Montoire, « Verdun diplomatique », comme l’a écrit Louis-Dominique Girard. Après lui, Jacques Boncompain confirme que cette rencontre constitue une grande défaite de la politique allemande vis à vis de la France, car elle a permis de sauver l’armistice. Seulement, le Maréchal qui veut gagner du temps, a employé le mot de « collaboration » avec l’ennemi. Il lui restera toujours collé. Cependant il n’y a jamais cru, notera le général Giraud.
Laval, que n’appréciait pas Pétain, essaiera de jouer « les équilibristes » entre une France réfractaire à la collaboration et un Hitler qui n’attendait que sa soumission. Notre auteur démêle, avec une grande intelligence, l’écheveau très compliqué d’une relation entre deux hommes – Pétain/Laval – dont l’un voulait gagner du temps comme à Verdun et l’autre collaborer car il croyait à l’invincibilité de l’Allemagne. Au final, l’injustice fut grande à l’égard de cette politique, car en évitant la nomination d’un gauleiter à la tête de la France et en permettant le retour de l’immense majorité des prisonniers français, elle réussit à éviter une nouvelle saignée du pays.
Pour protéger la France, le Maréchal a voulu rester sur le territoire français et ne pas aller en Afrique du Nord, comme beaucoup l’y poussaient. Jacques Boncompain lui rend justice de toutes les mesures prises par son gouvernement pour nourrir le peuple français, développer son économie, éduquer sa jeunesse, protéger son travail, favoriser son unité sans esprit partisan, sauvegarder au mieux les Juifs français. On est étonné qu’une action d’une aussi grande ampleur ait pu être entreprise et menée à bien, en si peu de temps. Et pourtant…
Une gloire qui n’en finit pas de brûler
La gloire de Pétain n’en finit pas de brûler et même… il ne faut surtout pas que, même ce qui est indiscutable aux yeux de l’histoire, comme la magnifique épopée de Verdun, puisse encore briller aux yeux des Français ! Faute de pouvoir être encore salie, cette gloire indiscutable doit être définitivement oubliée, piétinée, comme l’ont été les tombes des soldats au cours d’une gestuelle mimée par des jeunes pour célébrer le centenaire de la guerre de 14. Il y a là un mystère qui pèse sur nos institutions et les entache. Le 26 juin 1940, après avoir accusé le Maréchal de négligence dans le service de la France, le général De Gaulle a ce jugement tranchant et mensonger sur l’armistice : « Ah! pour obtenir et pour accepter un pareil acte d’asservissement, on n’avait pas besoin de vous, Monsieur le Maréchal, on n’avait pas besoin du vainqueur de Verdun ; n’importe qui aurait suffi. » Comme pour enfoncer le clou, le 13 juillet suivant il y ajoutera l’humiliation et le déshonneur en accusant le Maréchal à mots à peine couverts, de « sénilité » et de « trahison ». Ces mensonges et humiliations perdurent. Ils auraient même tendance à se renforcer, comme si la République craignait de se retrouver face à l’âme de la France que le vieux Maréchal avait tenté de sauver.
Jacques Boncompain voit derrière cet acharnement un « assassinat méthodique ». Nous attendons le livre qu’il nous promet sur la question. Mais déjà nous osons dire que cette gloire, qui n’en finit pas de brûler, est pour notre relèvement. Elle est le signe que le don que le Maréchal avait fait de sa personne a bien été accepté et qu’il n’a pas été repris. Les Français l’ont toujours à leur disposition.
Marie-Pauline Deswarte
[1]Pour le 50ème anniversaire de sa mort, le 80ème de l’appel du 18 juin, le 130ème de sa naissance.
[2]J. Boncompain, « Je brûlerai ma gloire. » Le choix du sacrifice. Pétain – De Gaulle. 70 ans après, Muller éditions, 2019, 650 p., 28 euros.
[3]Il a été couronné à deux reprises par l’Académie française pour des ouvrages sur les auteurs, en 1976 et 2002.
[4]Ainsi, pour étudier le problème de l’épuration des gens de lettres J. Boncompain avait dépouillé près de 2500 dossiers inédits.
[5]Dans une note du 21 avril 1941 le général De Gaulle constatait que les Juifs naturalisés « jouaient un rôle excessif dans la direction des affaires publiques et privées du pays ».
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