UN FAIT MÉCONNU
Que n’as-t-on reproché au maréchal Pétain ? Voici un fait méconnu qui jette un autre regard sur son action secrète. Son rapporteur n’est autre que Robert Courrier, à partir des notes et archives de son père, Charles, directeur du centre administratif de détention de Pellevoisin1.
La rapidité de l’effondrement de l’armée a frappé la population française de stupeur, qui demande des comptes. D’où la décision du nouveau gouvernement de traduire en justice Léon Blum, Édouard Daladier et le général Gamelin, pressentis comme les principaux responsables de cette tragédie, quand les Allemands entendent que ce procès serve à dénoncer les responsables de la guerre, principalement, Paul Reynaud et Georges Mandel, toutes personnalités internées dans le Puit-de-Dôme au château de Chazeron.
Soucieux de protéger Paul Reynaud et Georges Mandel, tous deux insoupçonnables, il ordonne leur transfert à Pellevoisin, prés Chateauroux, en zone libre, à l’Hôtel Notre-Dame, transformé en centre administratif de détention jouissant d’un bon confort, où ils rejoignent Vincent Oriol, Jules Moch, Max Dormoy, Charles Pomaret, et les industriels de l’aviation, Émile Dewoitine, Paul-Louis Weiller et Marcel Bloch. A sa demande, Robert Carlier a pour consigne de prêter particulièrement attention à Paul Reynaud, auquel il avait proposé de devenir vice-président du Conseil, et de faciliter ses contacts avec un Georges Mandel au tempérament éruptif, avec lequel il avait eu un accrochage à Bordeaux, afin de l’inciter à patienter.
Quand il fait arrêter Laval, il songe à l’envoyer à Pellevoisin, mais Otto Abetz libère par la force le prisonnier auquel il doit sa nomination comme ambassadeur du Reich à Paris. Il se retrouve alors exposé à d’intenses pressions des Allemands, ce que voyant, les internés de Pellevoisin, par le truchement de leur geôlier, font savoir à Marcel Peyrouton, ministre de l’Intérieur, qu’ils sont prêts à manifester l’unité française en appelant publiquement la classe ouvrière à le soutenir. Par ailleurs Reynaud, dans le cadre des poursuites dont font l’objet deux de ses anciens collaborateurs Leca et Devaux, auxquelles il est mêlé, obtient la visite de son avocat, Jacques Charpentier, qu’il charge d’informer diverses personnalités des conditions dans lesquelles, mis en minorité dans son gouvernement, il avait démissionné et invité le président Lebrun à le remplacer par le Maréchal. Mais c’était sous réserve que si les conditions de l’armistice s’avéraient inacceptables, il reviendrait aux affaires et poursuivrait la politique de résistance. Il entend que cela soit su et qu’il garde le même état d’esprit de résistance.
Rien n’échappe à la vigilance du colonel SS Helmut Knochen, chef de la police de sûreté et du service sécurité pour la France. Le 28 décembre il alerte Otto Abetz : « Pétain est disposé à s’exiler à tout moment à Alger : les archives les plus importantes des ministères seraient déjà emballées, voire en partie en route, alors que les officiers démobilisés doivent se tenir prêts, comme la Flotte »2.
De manière concomitante, le 31 décembre, Churchill, rompant avec son attitude d’opposition intransigeante à l’égard du gouvernement français depuis la signature de l’armistice, tente une opération de séduction auprès de lui. Par le truchement du chargé d’affaires du Canada, Dupuy, il l’avise que si jamais, en raison de l’inflexion de la guerre favorable aux Alliés, il « décidait de passer en Afrique du Nord ou de reprendre la guerre contre l’Italie et l’Allemagne, nous serions disposés à envoyer un corps expéditionnaire puissant et bien équipé, fort d’au moins six divisions, en vue de participer à la défense du Maroc, d’Alger et de Tunis. » Il ajoute qu’il faut aller vite car à tout moment les Allemands peuvent foncer sur Gibraltar et verrouiller le passage en Méditerranée. Un message identique est adressé au général
1 Le départ secret pour l’Afrique du Nord des internés de l’établissement administratif de Pellevoisin (décembre 1940 – janvier 1941) Claude Carlier, PUF, Guerres mondiales et conflits contemporains, 2009/4 b°236, p. 61 à 87.
2 Cité par Barbara Lambauer, Otto Abetz et les Français, Paris, Fayard, 2001, p. 279.
Weygand. Ni l’un ni l’autre ne répondront. Pour eux une rentrée en guerre « sans canons » serait de la folie. Par un tel coup Churchill espère sans doute arracher à Roosevelt l’entrée en guerre de l’Amérique, qui temporise.
Reste que le jour même Pétain ordonne l’acheminement discret de tous les internés jusqu’à Marseille. Il s’oppose à l’annexion de l’Alsace-Lorraine. Les inspecteurs chargés d’accompagner les internés leurs confient, rapportera Vincent Auriol : « Le gouvernement ne veut pas céder. Les Allemands vont occuper toute la France. Le maréchal et sa suite s’installeront en Algérie. On nous conduit à Marseille. De là, nous prendrons nous aussi, le bateau. » En dépit des précautions prise, la petite colonne n’échappe pas à la surveillance de Knochen. Avisé, Otto Abetz câble au ministre des Affaires étrangères, Joachim von Ribbentrop : « des bruits disent qu’un groupe de ministres essaie d’engager le maréchal et le gouvernement à partir à Alger. »
A l’étape d’Aubenas instruction est donnée à Robert Courrier de ne pas aller plus loin. Que s’est-il passé ? Après lecture du message de Churchill le Maréchal a demandé à Jacques Chevalier de sonder la position des Américains grâce à ses relations d’amitié et de confiance avec Lord Halifax, nouvel ambassadeur d’Angleterre aux États-Unis. Au moment du procès il confessera à Maître Payen : « M. Churchill en réalité était partisan d’une collaboration encore plus poussée que Lord Halifax. Voilà la vérité. Halifax était soucieux que le Maréchal ne fit rien contre l’armistice afin d’éviter toute intervention des Allemands, puisque les Anglais n’étaient pas encore prêts d’y répondre, leur armement étant insuffisant. » Il rejoignait en cela la position de Roosevelt conscient que la machine de guerre américaine n’en était qu’à ses débuts3.
Les Allemands ont maintenant percé à jour le jeu de Pétain. Ils savent que ce dernier garde les yeux fixés sur les États-Unis et sortira de sa position attentiste quand ils auront la capacité d’intervenir dans le conflit. D’où l’invasion de la zone libre dès le débarquement des Alliés en Afrique du Nord. Quant à Churchill, il écrira, non sans cynisme, à son ministre des Affaires étrangères, Anthony Eden, le 2 juin 1942 : « J’ai toujours été prêt à ne pas faire de concession à Vichy et à agir contre eux et j’ai toujours été sûr que Vichy, d’une manière ou d’une autre, courberait le dos et s’en accommoderait. Quand je regarde vers l’avenir, à une date qui ne me semble pas très éloignée, lorsqu’un grand changement aura lieu dans les masses françaises et que la certitude d’une victoire alliée se manifestera, il se produira un changement définitif dans l’action du gouvernement de Vichy. 4»
Par là on voit que Churchill n’a jamais mis en doute la volonté du Maréchal de résister aux Allemands et de reprendre la guerre aux côtés des Alliés quand les Américains seraient en état de se battre, mais pour autant il n’a cessé de lui mener la vie dure et de faire souffrir le peuple français avec le concours actif du général de Gaulle, afin de le maintenir sous pression contre son gouvernement. On comprend que le Maréchal n’ait pas porté l’Angleterre dans son cœur et lui ait préféré l’Amérique.
3 Les speakers de la BBC s’employaient à expliquer sur les ondes au peuple anglais, que l’industrie d’armement américaine mettrait 4ans pour monter en puissance et les fournir en matériel. Et cette progression était frappée des couplets suivants : la première année (1940-41) » Nothing »; la deuxième année : « just a few »; la troisième année : « quite a lot »; la quatrième année » as many as you want »
4 Cité par Marc Ferro Pétain, Fayard, 1987, p. 399.
0 commentaires