Monsieur le Directeur,
Le 15 juin 2017 je vous ai fait part de la publication de mon Dictionnaire de l’épuration des gens de lettres, à la Librairie Champion, et de ma disposition à vous en remettre un exemplaire si le sujet vous intéressait. J’ai bien reçu le lendemain un accusé réception de mon message m’annonçant sa transmission à la Rédaction qui ne donna pas suite. Or c’est ce Dictionnaire, et les 2500 dossiers d’épuration étudiés, qui ont changé mon regard sur l’occupation et m’ont conduit à revisiter cette époque en publiant aux éditions Muller, Je brûlerai ma gloire, en attendant de façon imminente celle de la suite : La tragédie du Maréchal. Je regrette que vous n’en ayez pas pris connaissance ce qui eût évité la publication, dans votre numéro du 24 novembre, sous la signature N.B., d’un article qui, pour mettre en cause la crédibilité d’Éric Zemmour, multiplie les accusations et approximations sur l’attitude du maréchal Pétain, essentiellement à charge, sans tenir compte des faits et des nouvelles découverts de la recherche ce qui est très regrettable et dommageable venant d’un journal qui a pour habitude d’enquêter avant de dénoncer qui que ce soit.
Il est inexact d’affirmer que tous les historiens s’accordent pour juger le Maréchal coupable d’antisémitisme et de le rendre responsable d’une condamnation à mort injustifiée d’un général de Gaulle parti à Londres sans autorisation, par dépit de ne pas figurer dans le nouveau gouvernement, d’où, par des accusations infondées, il compromit la signature de l’armistice, augmenta les exigences de l’ennemi et donna prétexte à Churchill de détruire la fleur de la marine française à Mers el-Kébir, sans un mot de compassion pour les 2000 victimes occasionnées. Pour n’en citer que quelques-uns je mentionnerai le doyen Carbonnier, Robert Aron, François-Georges Dreyfus, Henri Amouroux, de l’Institut, général Le Groagnec, Michel Boisbouvier, Bernard Legoux, l’américain, l’anti-Paxton, William Koburger, Henri-Christian Giraud, le rabbin Henri Michel, le colonel Le Pargneux, général Michel Issaverdens, enfin votre serviteur ; sans parler de Churchill lui-même, revenu à de meilleurs sentiments après le débarquement en Afrique du Nord, ainsi que de Kenneth de Coursy, secrétaire du parti Conservateur. Le procès du Maréchal fut un procès de Moscou tenu à Paris, le jury choisi à charge et la sentence connue à l’avance. Paul Faure, membre du Jury, révéla dans Un procès inique, que les magistrats, dans le secret des délibérations et en contradiction avec leurs prises de positions publique, suivant cette fois leur conscience, proposèrent aux jurés de prononcer une simple peine de bannissement, qui équivalait alors à un acquittement.
Où est-il dit que le Maréchal s’opposa de toutes ses forces, avec succès, au port de l’étoile jaune qui ne fut jamais imposée en zone libre, même après son occupation ? Que le Statut des Juifs fût institué pour prendre de vitesse l’occupant qui avait déjà imposé les lois de Nuremberg à l’Alsace-Lorraine et s’apprêtait à le faire dans les autres territoires occupés ? Que la convention de La Haye, dont la France et l’Allemagne étaient parties, donnait à la puissance occupante autorité sur la police du pays occupé ? Qu’en dépit des protestations de la délégation française Hitler imposa que, sur simple réquisition, lui fussent remis tous les anciens ressortissants allemands, comme il l’avait imposé à Staline lors de la signature du Pacte germano-soviétiques ? Qu’en novembre 1942, le Maréchal fit prendre l’engagement par Laval, lorsqu’il lui accorda la faculté de publier les lois, dans une contre-lettre, de ne jamais déclarer la guerre aux Alliés et de protéger les minorités persécutées en raison de leur religion ? Que le Maréchal refusât de publier le décret de dénaturalisation de tous les juifs francisés depuis 1927, soit environ 50 000, déjà rédigé par Laval sur pressions inouïes des Allemands ?
Née d’une famille juive d’Alsace-Lorraine, l’historienne Annie Kriegel observera : « Il y a une jeune école historique qui veut mener une sorte de guerre privée et qualifiée d’héroïque contre le gouvernement de Vichy. Il me paraît absurde de renverser les choses au point de dire que non seulement le gouvernement a été complice mais qu’il a pris l’initiative d’une entreprise
de répression1. » Elle fait écho à Simone Weil qui, de New-York, écrivait au professeur Jean Wahl, en novembre 1942, donc après la Rafle du Vel d’Hiv. : « Je n’aime pas beaucoup entendre des gens parfaitement confortables ici, traiter de lâches et de traîtres ceux qui en France se débrouillent comme ils peuvent dans une situation terrible… Je crois que Pétain a fait tout ce que la situation générale et son propre état physique lui permettaient de faire pour limiter les dégâts2. »
En 1940, stratège, il avait jugé : « Le wagon de Rethondes nous sauvera ». Loin d’être une capitulation et une trahison, l’armistice fut une victoire éclatante qu’il remporta in extremis sur Hitler, enivré de ses succès, au grand dam de ses généraux. Dans le même temps, le général de Gaulle, évincé par Weygand du nouveau gouvernement, se replia à Londres où il fit de sa condamnation le fondement de son action, bien qu’il ait été applaudi par l’immense majorité des Français. Dans la suite il l’approuva en privé lorsqu’il donna cette instruction au général Odic : « N’avouez, jamais que l’Armistice ne pouvait être évité. » Aveu renouvelé à son aide de camp le colonel de Bonneval.
Le 8 juin 1944, à Marrakech, W. Churchill, revenu à une plus exacte appréciation des faits, déclarera au général Georges : « Après la bataille du Nord, l’Angleterre n’avait plus d’armes. Nous n’avions pas vu la question des chars et celle de l’aviation sur un plan suffisant. L’Armistice nous a, en somme, rendu service. Hitler a commis une faute en l’accordant. Il aurait dû aller en Afrique du Nord s’en emparer pour poursuivre sur l’Égypte. Nous aurions eu alors une tâche bien difficile. » D’où ce constat d’Henri Amouroux en 1993 : « Aujourd’hui la nécessité de l’armistice n’est pratiquement pas remise en question, ce qui bouleverserait de Gaulle. » Sans l’armistice, sans la zone libre, sans l’action du gouvernement de l’époque, la totalité des Juifs en France et en Afrique du Nord eût été éliminée.
Ajoutons que le général de Gaulle confia à son bras droit, le colonel Rémy, qu’il ne comprendrait jamais pourquoi le maréchal Pétain n’avait pas gagné Alger en novembre 1942 (donc après la rafle du Vel d’Hiv.) où il aurait été accueilli triomphalement par la population et les Alliés, avec à la clé sa marginalisation de la scène politique. Or c’est précisément pour sauver les personnes en danger que le Maréchal décida de rester, observant, conscient des conséquences sur sa personne : « Je brûlerai ma gloire ». Il est donc étonnant que les héritiers de ceux qu’il a sauvés s’acharnent contre la personne de leur sauveur, alors que le grand historien américain, Raul Hilberg, dans sa somme La Destructions des Juifs d’Europe, fait crédit au gouvernement de Vichy d’avoir freiné les persécutions et tenté de sauver les Juifs français. En novembre 1942, le grand Rabbin Hirslchler se précipita à Vichy pour s’opposer au départ en Afrique du Nord de Pétain et de Laval. Apprenant du secrétaire de ce dernier qu’il restait, il lui dit : « Je suis rassuré. Pour moi, tous les Juifs sont mes enfants. Mais, je connais bien M. Laval et je sais ses difficultés. Les juifs français n’oublieront jamais ce qu’il a fait pour eux1. » Avant de le quitter il ajouta : « Surtout qu’il ne se décourage pas. » A la Libération, Laval souhaita être jugé par des Français juifs. Laval parle. Notes et mémoires rédigés à Fresnes d’août à octobre 1945, Le Cheval ailé, 1948.
A Roger Martin du Gard qui lui demandait le 17 juin 1944 s’il ne partirait pas, il répondit : « Je ne suis pas parti en novembre 1942, ce n’est pas aujourd’hui que je m’en irais. C’était trop facile !… Qu’est-ce que vous seriez devenus, tous ? A voir ce qu’ils font déjà contre le maquis,
1 Annie Kriegel, Valeurs actuelles, 25 mars 1991.
2 Lettre au professeur Jean Wahl, New-York, novembre 1942, Cahiers Simone Weil, mars 1987.
les Allemands, c’eût été beau ! Et dans les camps de prisonniers en Allemagne ? Les représailles eussent été affreuses à mon départ. En restant je n’ai pas permis qu’ils fassent certaines choses. J’ai évité des sévices contre les Alsaciens-Lorrains réfugiés, contre les juifs, contre les communistes. Les juifs ! si j’étais parti, les SS les auraient tous massacrés, tous, vous m’entendez ? comme en Pologne ! Voilà ! J’avais dit une bonne fois, quand tout tombait sur nos têtes : « Je ne quitterai pas la métropole. » Je pensais : « Je veux que tout ce que je suis, tout ce que je représente, tout ce que je rappelle à l’ennemi, serve à protéger les pauvres gens. Je n’ai qu’une parole avec les Français.»
L’enseignement de tout ceci, Guy Raïssac, magistrat instructeur d’un procès digne de ceux de la Terreur, l’a donné avec le recul : « Un pays ne peut sans dommage renier et flétrir l’un de ses rares grands hommes, fût-ce à l’heure de son déclin, sans courir le risque d’altérer sa propre substance.» La diabolisation du Maréchal est un mauvais coup pour la France ; elle le restera aussi longtemps que la dépouille de celui qui avait conduit ses armées à la victoire lors de la Grande Guerre, et fait don de sa personne en 1940, ne sera pas inhumée avec les honneurs, à Douaumont.
Au cours du procès, Kenneth de Courcy, arriva à la même conclusion et tint à faire part de son avis aux juges dans une lettre qui fut lue, mais ne modifia pas l’issue du procès, décidée d’avance. Il y disait : « Je refuse absolument de croire que le Maréchal Pétain ait été un traître et qu’il ne l’ait jamais été. Je ne crois pas, d’ailleurs, qu’un Maréchal de France soit un traître et j’estime, en tout cas, que c’était extrêmement rusé et une immense contribution à la sécurité de ma patrie, l’Angleterre, que Pétain ait réussi à empêcher la flotte française et l’Afrique du Nord à tomber entre les mains des Allemands. Quelles que soient les fautes qu’il a pu commettre, le fait d’avoir empêché les Allemands d’acquérir la force nécessaire pour envahir ce pays, c’est-à-dire la puissance navale que l’Allemagne ne possédait pas, mais que la France possédait, ce fait est, à mon avis, un résultat étonnant, et je ne comprends pas que les gens ne puissent le voir avec clarté.
« En outre, je ne peux comprendre comment il a pu faire pour tenir les Allemands éloignés de l’Afrique du Nord.
« Je ne crois pas que, dans toute l’Histoire, il y ait eu un pays qui ait été aussi complètement joué que les Allemands l’ont été par les Français. »
« Par ailleurs, je n’ai absolument aucun désaccord avec de Gaulle… Je pense que tous les deux, Pétain et de Gaulle, ont rendu à la France un immense service, l’immense service de tromper les Allemands.
« Quel dommage qu’on ne réalise pas cela : Pétain sans de Gaulle et de Gaulle sans Pétain n’auraient jamais obtenu un résultat comparable à celui qu’ils ont obtenu ensemble3.»
Voilà ce que votre rédacteur N.B. aurait pu dire, voilà ce qu’il serait salutaire que vous rappeliez à vos lecteurs qui font confiance à votre impartialité. Faire du Maréchal, le vainqueur de Verdun, le plus respectueux de la personne humaine, un tortionnaire coresponsable de la Shoah, est une monstruosité qui déshonore ses accusateurs et salit odieusement l’image de la France. L’avenir est à sa réhabilitation, comme y contribue chaque jour davantage le dépouillement des archives de la Commission d’armistice de Wiesbaden. Seule la partie émergée de l’iceberg de cette époque a été cartographiée, et souvent de façon biaisée, car face aux Allemands les autorités françaises devaient parler à mots couverts sous peine d’être démasquées. Il leur fallut avaler des couleuvres grosses comme des boas pour préserver de toute occupation ennemie l’Afrique du Nord et hâter ainsi de
3 Idem, T. III, p. 444-445.
plusieurs années la fin de la guerre, comme Churchill le reconnût. L’armistice ne fut pas une capitulation ni une trahison, mais une victoire en creux non moins grande que Verdun, que nul autre que le Maréchal ne pouvait remporter comme vint le déclarer courageusement à son procès, de retour de déportation, le grand résistant alsacien-lorrain Charles Barreis. C’est peut-être pour vous une vision déchirante de cette époque, au regard de celle communément véhiculée, m ais vous avez la possibilité de contribuer à sortir d’une doxa néfaste à l’image de la France et à la réconciliation des Français. Je me tiens à votre disposition à ce sujet.
Veuillez agréer, Monsieur le Directeur, l’expression de me sentiments dévoués. Jacques Boncompain
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