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Jean TARDIEU, l’initiateur à l’art dramatique

par | 20 Août 2021

JEAN TARDIEU L’INITIATEUR

Jean Tardieu fut l’un des tous premiers auteurs dont je reçus la visite, en 1970, en qualité de nouveau chargé de mission du Service de l’Étranger de la Société des Auteurs et Compositeurs Dramatiques. Aussitôt je fus séduit par la bienveillance de l’homme, le regard clair du poète, la simplicité et la modestie de cet auteur qui compte parmi les plus originaux de notre époque et qui a fait école.

Jean Tardieu est au théâtre ce que la pluie fine est à la nature, qui pénètre le sol et le fertilise. Son Théâtre de chambre a suscité – et suscitera encore longtemps – des vocations théâtrales. Mettant le jeu à portée de tous, jeunes et moins jeunes, il n’est pas surprenant que ceux qui souhaitent faire leurs premiers pas au théâtre, s’en remettent à Jean Tardieu pour les guider. Ses pièces courtes donnent leur élan aux jeunes comédiens. ElleS mêlent tous les tons du théâtre : le comique, le tragique et l’étrange. Elles sont la réalité détraquée; elles provoquent des erreurs d’aiguillage, comme dans le Meuble : « un petit décalage que nous appelons dans notre métier le Ni-vu ni connu… c’est un incident sans gravité apparente, mais en réalité dangereux, parce qu’on ne s’en aperçoit pas. »

Le théâtre de Tardieu est évangélique : il est discret comme son auteur, il est partout, il a conquis le monde entier. Théâtre de chambre, il est dans les maisons, les écoles, les universités, comme dans les théâtres. Il échappe souvent aux mailles des filets des Sociétés d’Auteurs et je crois pouvoir dire qu’il n’est pas d’auteur au répertoire plus incontrôlé que Jean Tardieu. S’il touchait quelques francs par représentation effectivement donnée, sa fortune serait faite. Mais son théâtre est généreux comme l’auteur. Il se donne. On le regarde au travers du trou de La Serrure, sans payer.

Ce serait faire injure au théâtre de Jean Tardieu et à la SACD de passer sous silence les productions professionnelles. Elles rendraient jaloux nombre d’auteurs. Prenons le Guichet. Comme tout le théâtre de Jean Tardieu, cette pièce fait la joie de l’Italie, devenue se deuxième patrie. Le Guichet a été représenté avec succés dans la version d’Arnaldo Bobbio sous le titre Lo Sportello, par d’innombrables compagnies dont le Groupe « La Maschere » de Messine, le Gruppo Teatro 2, la compagnie primaire Arcipelago, l’Orthotheatro., etc. Mais il n’y a pas qu’en Italie : au Van Dam Theatre à New-York en1962, au New Rotterdam Toneel en Hollande, au célèbre Théâtre d’Art de Khoun à Athènes, au théâtre d’essai de l’Hotel Manila à Barcelone, dans l’ensemble des pays scandinaves, en Israël, au Vénézuela, au Brésil, en Turquie, dans les pays de langue allemande. en Tchécoslovaquie. La Sonate et les trois messieurs a été traduite en finnois, en suédois, en danois, en serbe, en tchèque, en néerlandais, en hébreu, plus, j’allais omettre les « traditionnelles » langues italienne, anglaise et allemande. La Serrure a conquis les scènes du Japon après avoir fait un détour par le Royal Shakespeare Theatre of Stratford-upon-Avon.

Curieux d’œuvres nouvelles à proposer à l’étranger, je pressais Jean Tardieu, parmi d’autres, d’écrire. Il me dit un jour qu’il travaillait à une pièce en plusieurs actes

: la Cité sans sommeil, dénonciation poétique du totalitarisme. Excellente nouvelle ! Selon les directeurs de théâtre, le public préfère un spectacle d’une seule pièce. Les œuvres en un acte sont très difficiles à placer. Quel évènement de voir Jean Tardieu, montrer une telle force créatrice à l’âge où d’ordinaire l’inspiration s’essouffle. Il m’apporta une superbe pièce Shakespearienne marquée au coin de sa cocasserie légendaire.

J’espérais que les metteurs en scène français se jetteraient sur cette grande pièce d’un grand auteur. Une création prestigieuse en France rend plus aisées les reprises à l’étranger. Foin ! Jean Tardieu, poète, fit lire son manuscrit, de-ci, de-là, sans insister. Il reçut un télégramme prometteur, quelques lettres flatteuses sans lendemain, parfois pas de réponse, comme un auteur débutant. J’enrageais devant cette défaillance des directeurs de mon pays. Beaucoup, alors, se préoccupaient des morts plus que des vivants ou allaient les chercher outre Rhin plus volontiers qu’en France même. La S.A.C.D., avec son monopole de fait de la gestion des œuvres dramatique, ne peut, du moins pas encore, proposer la pièce d’un de ses membres plutôt que celle d’un autre.

J’eus à cœur de placer à l’étranger ce que la France négligeait, comme ce fut le cas avec La Belle vie, de Jean Anouilh, téléfilm qui se prête à la scène, créé en Pologne – dernier pays où l’on voyait cette satire de la Révolution – ou l’Ami du président, pièce inédite de Félicien Marceau, créée au Théâtre satirique d’Estonie, traduite en chinois et annoncée au théâtre folklorique de Pékin.. J’aboutis aux États- Unis, à New-York précisément dans le pays, la ville les plus réfractaires au théâtre français, grâce à la perspicacité d’une Française, Françoise Kourilsky, à laquelle j’avais chaleureusement recommandé la pièce. Tout le mérite de la création mondiale de la Cité sans sommeil à la Mamma lui revient.

Jean Tardieu dit un Mot pour un autre, et pourtant tout le monde le comprend dans sa langue, une langue bien à lui et qu’il fait notre. Il y a chez lui la Part de l’ombre et la part de lumière, celle de l’amitié. L’œuvre vaut l’homme, et assurer l’administration de son répertoire à l’étranger m’a toujours été un honneur et une joie.

Jacques Boncompain 1° mai 1989

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