OU
LA CHOREGRAPHIE AU POUVOIR Jacques Boncompain
Directeur de la Propmotion des Répertoires et de l’Action Culturelle de la SACD.
Susan Buirge a la danse dans le sang, du sang indien, crow plus précisément par sa mère, mais aussi anglais et écossais, voire lorrain, par son père. Elle nous vient d’Amérique avec la fougue d’un conquistador à rebours pressé d’ouvrir des voies nouvelles à l’art vivant le plus ancien. La création est son vrai monde, elle ne vit que dans la remise en cause permanente, sans rien rejeter des rythmes et des formes, avide au contraire de décrypter les plus primitifs ou de la plus haute antiquité, mais rejetant par dessus tout l’académisme qui fige le mouvement et signifie pour elle la mort de la danse. Aussi ne tient-elle pas plus en place dans la vie que sur une scène. Il faut l’attraper à son domicile parisien entre un vol pour Kyoto ou Addis-Abeba. Eh bien, la SACD est parvenue à la saisir au vol et Susan a eu la bonne grâce de bien vouloir se laisser prendre. Quoi de plus naturel. Regardons-y de plus près.
Pionnière du droit d’auteur, la SACD s’est choisie une pionnière comme premier représentant des chorégraphes. Fondée en 1777 à l’initiative des auteurs « joués » par les comédiens français, rejointe en 1791 par les compositeurs de musiques dramatiques, mère des 14O Sociétés d’Auteurs en activité dans plus de 7O pays, la SACD a pris sous son aile de bonne heure les chorégraphes, mais il aura fallu attendre 1991 pour que l’un des leurs siège en cette qualité en son conseil, la Commission. Jusque-là les intérêts des chorégraphes étaient représentés par les compositeurs.
Serge Lifar s’était plaint de cette sujétion. Reçu à sa demande par la Commission, pour bien prouver l’élévation de son art il n’hésita pas à sauter sur la vaste table et à y composer des figures savantes à l’ahurissement des auteurs présents. Une impulsion était donnée. Le développement de la danse contemporaine fit le reste. La Commission unanime, compositeurs compris, décida en 1991, l’année du bicentenaire de la première loi sur le droit d’auteur, la création d’un siège de chorégraphe en son sein, ce qui demeure sans exemple dans les autres Sociétés d’Auteurs, à l’heure où cet article est écrit. Déjà la déclaration de chorégraphies dépourvues d’argument avait été acceptée par les services, avec l’assentiment de musiciens commissaires tels que Jean Michel Damase.
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Avant de déposer sa candidature Susan s’était déjà distinguée au sein du
comité danse de l’association Beaumarchais, émanation de la SACD. A peine élue commissaire, elle prit la mesure de l’honneur qui lui était fait et de la tâche écrasante qui lui incombait. Il ne s’agissait plus pour elle de conseiller, mais
d’entreprendre. Son hésitation fut brève. Dès le lendemain elle intervenait au Théâtre Contemporain de la Danse lors d’un séminaire organisé sur la mémoire de la danse ; la semaine suivante, aux conseils des auteurs dramatiques et des compositeurs de la Confédération Internationale des Sociétés d’Auteurs, elle invitait toutes les Sociétés d’Auteurs à prendre la défense des chorégraphes et lançait une enquête sur la condition des chorégraphes dans le monde.
Mais comment faire entendre sa voix à la Commission au milieu de vingt- quatre personnes d’autres disciplines ? En jouant de sa singularité. Physiquement, elle ne bondit pas sur la table, à la suite de Serge Lifar, mais ce fut tout comme. Chacun buvait du café. Elle commanda du thé. Au lieu d’une simple tasse, elle eut droit à un plateau avec théïère, tasse, sous-tasse, sucrier, cuiller, rondelle de citron, le tout servi par l’huissier avec prévenance. Ainsi marqua-t-elle que les chorégraphes avaient leur différence et qu’ils méritaient déférence. La chorégraphie du thé suspend règulièrement les débats et la chorégraphie tout court a une place de premier plan dans les préoccupations de la Commission. Au président Santelli Susan avait annoncé la couleur :
– Je deviens votre danseuse. Ca va vous coûter cher !
Mais la chorégraphie n’est pas un luxe ; pour Susan, elle est le nécessaire. Loin d’agir de façon solitaire elle s’est entourée de confrères afin de représenter l’ensemble des chorégraphes, même si, élue, il lui appartient de décider en dernière analyse. Son action, dès l’origine, a embrassé tous les fronts.
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Au plan administratif, elle a entrepris la refonte des bulletins de déclaration
avec une triple préoccupation : les rendre plus intelligibles aux chorégraphes d’aujourd’hui, tenir compte de la variété d’éventuels emprunts à des oeuvres préexistantes, accroître leur précision et leur valeur documentaire. Un dépliant a été édité à l’intention des chorégraphes afin de les guider au sein de la SACD, de leur donner des informations de base sur leurs droits et devoirs, la manière de protéger leurs oeuvres et d’en assurer au mieux la perception des droits de représentation.
Tout auteur agit en solitaire ; c’est particulièrement vrai du chorégraphe qui crée dans son coin, souvent de façon sauvage. Cet esprit d’indépendance a sa vertu, mais aussi son revers : l’affaiblissement de ses droits. Le chorégraphe ne peut revendiquer l’application de la loi sur le droit d’auteur à son bénéfice qu’en la respectant lui-même vis-à-vis des autres auteurs. Ainsi, en empruntant des musiques préexistantes protégées, sans avoir obtenu les autorisations nécessaires des compositeurs ou des éditeurs, il s’expose à la saisie à leur profit, par les organismes d’auteurs, de la quasi totalité des droits perçus. Pour les représentations données en France, la SACD vient d’obtenir de la SACEM que la part attribuée à la musique n’excéde pas la moitié des droits perçus.
Dans le cadre de l’action culturelle, des lieux de répétition ont été gracieusement mis à la disposition de jeunes chorégraphes et la publication de textes de chorégraphes contemporains a été encouragée. Susan a fait flotter le pavillon de la SACD dans les principales manifestations : Biennale de Lyon, Poitiers, Eurodanse, Montpellier Danse, Rencontres Chorégraphiques Internationales de Bagnolet, avec remise du prix du jeune auteur. La danse a
représenté les auteurs dramatiques au dernier MIDEM et l’établissement de nouveaux rapports entre chorégraphes et musiciens a été encouragé par la remise du prix de la meilleure musique conçue pour une vidéodanse.
Mais l’une des initiatives les plus spectaculairs prise par Susan Buirge au cours de l’année 1992 aura été l’organisation des premières Assises Européennes du Droit d’Auteur du Chorégraphe, à Pont-à-Mousson, en collaboration avec le Centre Européen pour la Chorégraphie dont elle est la directrice artistique. Du 2O au 23 septembre, des chorégraphes venant de l’ensemble des pays de la CEE, mais aussi de Suisse, de Roumanie de Tchécoslovaquie, de Finlande, réfléchirent, sous sa présidence, sur leur condition et les meilleurs moyens de la conforter.
De nouvelles assises devraient avoir lieu en 1993 en Italie avec le concours de la Société Italienne des Auteurs. Le droit d’auteur du chéorégraphe est international ou n’est pas. D’où, au-delà de l’Europe, l’action entreprise dans le cadre plus large de la Confédération Internationale des Sociétés d’Auteurs.
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On le voit, l’émergence d’un chorégraphe au sein de la Commission de la SACD a valeur exemplaire ; quand ce chorégraphe se nomme Susan Buirge, cela devient une vraie révolution. Douée d’un don d’ubiquité, elle est partout à la fois, sur tous les fronts, sachant que l’oeuvre à accomplir est immense, qu’une seule personne n’y suffit pas, ait-elle la vitalité de cent ! Ce n’est pas demain que les chorégraphes seront représentés par un des leurs dans chaque Société d’Auteurs, mais le mouvement est lancé. Ainsi la Société Portugaise des Auteurs a décidé d’admettre un chorégraphe en son conseil. Qui a vu Susan mener les débats aux Prémontrés peut être rassuré. Conciliante, ferme, attendrie, inflexible, elle sait mobiliser et orchestrer les talents, faire venir au jour les expressions heureuses et mettre un terme aux débordements, donner un temps à l’imagination, un temps à la réflexion, un autre aux résolutions. Avec elle l’auteur chorégraphe est en train de faire un bon spectaculaire. Les chorégraphes, toutes écoles confondues, ont trouvé leur chorégraphe. Qu’ils l’accompagnent, ils s’en féliciteront.
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Née en 1777 d’un conflit opposant les auteurs dramatiques aux comédiens français, la Société des Auteurs est la mère de toutes les Sociétés d’Auteurs du monde, plus de 14O dans 7O pays ! C’est déjà un sujet d’intérêt pour Suzanne Buirge qui aime remonter à la source des choses et des mouvements. Les chorégraphes auraient dû participer à la révolution d’auteurs prenant en main leur destinée, affirmant leur droit et rejetant le satut de créateurs assistés, au pays qui prise la comédie ballet, où triomphent les Vestris, les Noverre et les Cahusac. Il n’en est rien. C’est que, victimes de leur succés, les danseurs demeurent enfermés dans leur Académie, rue Basse, porte Saint Denis, exempts de taille, de guet, de garde et de tutelle, avec pour objet, sous la direction du sieur Laval, « de s’exercer dans la Danse, de la corriger & et le polir. »
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