Comédie. Variations entre un homme et une femme.
LE PINGOUIN
Jacques Boncompain
1°) COMEDIENS
2°) VOIX ENREGISTREES
BARTHELEMY 30 ans. EMMANUEL : 6 ans. FLORENT : 6 ans.
I°) PERSONNAGES
FRANCOIS : La quarantaine. Elégant, apprêté, sérieux. MARIANNE : 35 ans. Tantôt éteinte, tantôt vive. Elle est nature.
II°) DECOR
Un seul décor.
Côté cour, table avec chaises, machine à écrire. Rayons et livres.
Côté jardin, canapé-lit, fenêtre mansardée.
Au fond, porte par où se font les entrées et les sorties; donne sur un escalier intérieur.
Une fois, l’avant-scène sert de jardin : un banc. Chants d’oiseaux.
III°) ACTION De nos jours, en un pays indéterminé.
MARIANNE Tu t’es conduit comme un con !
FRANCOIS MARIANNE FRANCOIS
MARIANNE FRANCOIS MARIANNE
Mais ?
Ne fais pas l’innocent ! Doucement, les enfants dorment.
Je m’en fous.
Ne sois pas vulgaire.
Il n’y a pas de mot pour qualifier ta conduite.
Si, tu en as prononcé un.
FRANCOIS
MARIANNE
Mais est-ce que tu te rends compte ? Tu t’es ridiculisé devant tout
le monde. Moi par la même occasion. FRANCOIS
Comment ?
MARIANNE
Elle est ravissante. Je te comprends. Une poupée de porcelaine, avec des fossettes, quatre taches de rousseur sur le nez, deux petits seins…
FRANCOIS ( haussant les épaules )
Oh !
MARIANNE
Oui, à croquer, sous le chemisier transparent. Si tu avais pu les mordre.
FRANCOIS
Mais…
MARIANNE
Je ne te le reproche pas. J’espère bien la revoir, m’en faire une amie. Tu
étais le maître de maison. Tu n’as cessé de lui parler. FRANCOIS
Tu exagères.
MARIANNE
Je t’en prie ! Nous n’existions plus. Nos amis échangeaient des regards complices. J’avais l’air de quoi, moi ? Quand j’y pense…que tu m’aies fait ça
en public…Oh ! je te pilerais.
FRANCOIS
Mais fait quoi ? J’ai parlé avec tout le monde. Aussi avec ma voisine.
Davantage, peut-être. Je ne la connaissais pas.
MARIANNE
Moi non plus, figure-toi. Ca m’aurait intéressé de savoir d’où elle venait, ses
études, ses occupations, ses goûts, et toute la table en aurait profité.
FRANCOIS
Mais il y avait ALBERT. Quand il est là, personne ne peut ouvrir la bouche.
MARIANNE
Sauf aujourd’hui. Nous avons tous eu le temps de nous apercevoir que tu
étais tombé amoureux.
Amoureux…
Parfaitement, amoureux. Et ça durait ! ça durait !
FRANCOIS
Ecoute. J’ai commencé par m’adresser à toute la table. A ma droite j’avais ANDRE, mal dans sa peau. En face, BRIGITTE, en pleine déprime. D`habitude, quand elle sort de chez elle elle se détend. Là, sa voix s’étranglait dans sa gorge. Elle ne desserrait pas les dents. J’ai été glacé. Je me suis rabattu sur
ma voisine de gauche. Tu connais ma gêne avec les femmes.
MARIANNE Les jolies femmes. Avec moi tu n’es pas gêné.
FRANCOIS
Bon, inutile.
MARIANNE
Non. Tu ne t’en tireras pas comme ça. Je t’écoute. Ta gêne…
FRANCOIS
J’ai essayé de la vaincre.
MARIANNE
Ah ! ah ! ah ! non. Mais tu te rends compte de l’énormité de ce que tu dis ? En somme, tu étais à l’épreuve, tu te forçais. Pauvre petit, ça lui était dur de parler à PAATRICIA , il était au supplice. Et moi ? je devais l’applaudir, l’encourager du regard. Vas-y, vas-y, fais bien en sorte qu’on voit que je ne
compte pas.
FRANCOIS MARIANNE
Je peux parler ?
FRANCOIS
MARIANNE
Ca t’était tellement dur que tu t’es levé pour aller chercher ton album de
photos. Alors là, le comble !
Je peux parler ?
FRANCOIS
MARIANNE
Que tu aies été sous le charme jusqu’au dessert, passe encore. Choc
émotionnel : je pardonne. Mais que tu reviennes avec un album, comme un gosse avec un jouet…
FRANCOIS
Puis-je parler ?
MARIANNE
Que tu veuilles le montrer à tout prix, alors que je me suis assise exprés sur ta chaise, que tu prennes PATRICIA par la main, que tu l’installes dans un
coin…Eh bien ? dis quelque-chose. FRANCOIS
Je…
MARIANNE
Tais-toi ! une honte ! c’est une honte ! tu n’as aucune excuse. Je ne suis pas prête à te pardonner. Regarde-moi bien. Il y a des femmes capables de supporter les pires affronts. Pas moi. Je ne suis pas tes pantoufles. Encore
un coup comme celui-ci et tu entendras de mes nouvelles.
FRANCOIS
Si les invitations doivent dégénérer en histoires, c’est bien simple, je
n’inviterai plus personne.
MARIANNE
Il ne s’agit pas d’invitations. Il s’agit de savoir si tu entends te comporter
comme un homme et non comme un enfant.
FRANCOIS
Je préfèrerais qu’on me coupe le sexe et qu’on n’en parle plus. La paix avant
tout.
Ton sexe, il est à moi !
MARIANNE
FRANCOIS
Je ne suis pas en état de poursuivre cette discussion. Je tombe de
sommeil. Bonsoir.
MARIANNE
Il s’agit de savoir si je suis la femme de ta vie, si pour toi je compte plus que
tout. ( avec défi) Tires-en les conséquences.
≠≠≠
2
(L’avant-scène. Un banc. MARIANNE marche, distante. FRANCOIS, aprés une hésitation, l’embrasse sur la tempe. MARIANNE détourne la tête. FRANCOIS soupire. )
Chérie…
Oui ?
Tu n’as pas froid ?
FRANCOIS ( se dominant) MARIANNE (absente) FRANCOIS
Non.
Prends, comme autrefois.
trape MARIANNE)
Sois raisonnable. Je fais les premiers pas.
Alors…qu’est-ce que tu veux ? … me quitter ?
MARIANNE (glacée)
FRANCOIS
(lui met sa veste sur les épaules)
(MARIANNE continue de marcher sans s’arrêter lorsque la veste tombe. FRANCOIS la veste, rat-
(Silence de MARIANNE)
MARIANNE ( haussant les épaules )
Je n’ai jamais pensé à te quitter.
FRANCOIS
Tu en as l’air tout étonnée.
MARIANNE Avec ce que tu m’as fait vivre, il y a de quoi.
Pourquoi es-tu restée ?
FRANCOIS
MARIANNE
Parce-que tu en mourrais. Te tromper ou te quitter, je préfèrerais te donner
un coup de poignard. Tu souffrirais moins.
FRANCOIS
A t’entendre, on croirait que tu n’as cessé de pleurer pendant des années.
Nous avons eu des éclaircies. Peu.
MARIANNE
FRANCOIS
Plusieurs. Certaines trés longues. Je t’entends encore me dire : comme nous
sommes bien, tous les deux.
MARIANNE
J’essayais de me convaincre. Tu m’as toujours considérée comme acquise.
Qu’attendais-tu de moi ?
De l’attention.
FRANCOIS
MARIANNE
FRANCOIS Mais je t’aimais. J’avais chaud au coeur.
MARIANNE
Ah ! chaud au coeur ! si tu m’avais aimée comme il fallait, c’est moi qui
aurais dû avoir chaud au coeur.
FRANCOIS
A condition de rester proche.
MARIANNE
Tu m’as dit une chose qui m’a beaucoup marquée. J’allais accoucher. Tu t’étais lancé dans de grands travaux. C’était comme si je n’existais plus. Je t’avais dit : et si je te quittais ? Tu avais répondu – mon Dieu que ça m’a
marquée !- je mènerais mon travail jusqu’au bout, puis j’irais te chercher.
FRANCOIS
Ce travail s’imposait à moi. Je ne pouvais pas ne pas le mener à terme. Mais je t’aimais profondément. Débarrassé de ce fardeau, je serais revenu à toi, disponible, prêt à suivre tes quatre volontés, à te montrer par tous les pores
de ma peau, mon amour.
MARIANNE
Oui. Mais il pourrait être trop tard. Tu sais, je suis du genre qui ne revient
pas. Il faut me garder, autrement, fini.
Cette discussion ne mène à rien.
FRANCOIS
MARIANNE
Oh si ! je suis heureuse que nous l’ayons. Nous sommes restés trop
longtemps sans nous parler.
FRANCOIS Je n’ai cessé d’être près de toi.
MARIANNE J’en suis persuadée. Tu ne t’es aperçu de rien.
FRANCOIS
Pourquoi ne pas me parler.
J’ai essayé une ou deux fois. Pof ! tu t’es effondré. Pendant des mois, ces
MARIANNE
trois… ces six dernières années même, j’ai étouffé. Tu étais enfermé dans tes problèmes. Tu ne pensais qu’à ta situation. Je me demande comment j’ai pu tenir jusqu’à aujourd’hui. Il faut, sous ma faiblesse apparente, que j’aie une solide constitution.
FRANCOIS MARIANNE FRANCOIS MARIANNE
FRANCOIS
Je t’embrasse avec tendresse. Tu me dis des horreurs.
Tu es une femme forte.
Pour te supporter, sûrement.
Ma chérie…
Ce que tu as pu être détestable…
Je soulage mon coeur.
Il s’épanche autrement.
Ah oui ?
MARIANNE FRANCOIS MARIANNE
FRANCOIS
Certains garçons ne t’on pas laissée indifférente. Tu t’es offert des
compensations. Ne nie pas. Plusieurs hommes m’ont aimée.
MARIANNE
FRANCOIS Sachant cela, tu continues à les voir ?
MARIANNE
(?)
Dis-le moi franchement. Que j’en tienne compte ! Pourquoi cette explosion ? Qu’est-ce que ça signifie ?
FRANCOIS Ca signifie que je n’ai pas eu de maîtresse.
MARIANNE
Tu n’as pas d’amies femmes.
FRANCOIS
Et tu crois que je ne le peux pas ? Détrompe-toi. Ce qui m’intéresse, ce sont mes rapports avec toi. S’ils doivent être occultés par d’autres, autant que je
le sache.
MARIANNE
Tu n’es pas blanc. Ne m’oblige pas à te rappeler une histoire…
FRANCOIS Ca ne compte-pas ! une passade.
MARIANNE
Je l’ai sentie passer. Elle est encore là, en-travers. Et moi, je devrais rester de
marbre ? Je suis tombée de haut, figure-toi, et toi avec. FRANCOIS
MARIANNE, je n’ai que toi.
FRANCOIS
MARIANNE
MARIANNE
Qui voudrais-tu avoir d’autre ? Tu as la femme de ta vie à la maison.
N’empêche, je suis passée aprés tes fiches, tes travaux.
FRANCOIS
Tu crois que c’était drôle de retrouver chaque soir une femme, des enfants
malades ?
MARIANNE
Tu es infect ! Jamais je n’ai été à ta charge. Je travaillais, je riais, je paraissais contente.
FRANCOIS
Tu t’efforçais.
MARIANNE
Jamais je n’ai cessé de te protéger, contre tout. : gênes, froissements, blessures. Je t’ai sacrifié deux amours qui auraient pu me combler, sinon
changer ma vie, remplir les vides que tu y laissais.
FRANCOIS Comment ça , deux amours ?
MARIANNE
Pendant cette longue période où j’ai vécu si seule à côté de ta présence
absente, j’ai aimé deux hommes. FRANCOIS
Nous y voilà. Et qui sont-ils ?
MARIANNE
Ne compte-pas sur moi pour le savoir. Tu m’as vaccinée avec ta jalousie, pendant nos fiançailles. Pour trois amourettes que j’avais eues avant toi, tu m’as persécutée. Je me demande pourquoi je ne t’ai pas envoyé promener.
J’aurais dû être plus ferme, te dire : si c’est une rosière qu’il te faut, la porte est ouverte !
FRANCOIS
Mais moi, que tu charges de tous les vices, je t’avais attendue.
MARIANNE
Eh bien moi non ! tu me voulais, tu m’avais. Ca devait te suffire. Si je t’avais
balancé, tu serais revenu en rampant. FRANCOIS
J’en connais un : MARCEL.
MARIANNE
Oui, mais ça, c’est un secret de polichinelle. C’était écrit sur ma figure. Tout
le monde le sait.
Tu adorais qu’il te masse.
FRANCOIS
MARIANNE
Je ne m’en suis pas cachée. Toi aussi, d’ailleurs, tu adores qu’il te masse. On
est, dans ses mains, avec des bulles de champagne dans les membres…Moi, c’est autre chose que j’ai aimé : sa chaleur humaine, son ouverture, son art de vivre, son amour des gens. MARCEL est la déception de ma vie. Il m’a vue, ces trois dernières années, dans les pires moments de maladie, de détresse morale. Pas un coup de fil. Jamais il n’a pris de mes nouvelles.
FRANCOIS
Moi, je ne suis pas surpris. Je l’ai toujours considéré pour ce qu’il est : un
marseillais. Tu es là, il t’accueille. Tu sors, tu n’existes plus.
MARIANNE
Quel chameau ! Je lui souhaite beaucoup de malheur.
FRANCOIS
Et les autres ?
MARIANNE
Inutile, je ne te dirai rien. Constate : nous ne vivons pas dans un monde clos. Il y a des hommes, des femmes autour de nous. Si nous nous perdons
de vue, les autres se mettent à exister. La place vacante est aussitôt prise. FRANCOIS
Avec toi, il faut s’accrocher.
Je préfère cette relation…
Animée…
MARIANNE FRANCOIS MARIANNE
Explosive ! à celle que nous avions. Moi, confinée dans ma correspondance,
toi, dans tes rêveries.
+++
3
( FRANCOIS attablé, tape à la machine. MARIANNE entre ) MARIANNE
Je te dérange ?
Non. Qu’est-ce qu’il y a ?
Je pensais que nous pourrions sortir prendre l’air.
FRANCOIS (sombre) MARIANNE FRANCOIS
Oui.
Tu ne veux pas ?
Si. Si.
Tu travailles pour le journal ?
A mon roman. J’essaie.
FLORENT est chez EMMANUEL; Nous sommes libres.
C’est à dire …?
Je t’appelle dans un moment. Tu préfères ? FRANCOIS
Bien. J’aurai un peu avancé.
A tout à l’heure.
MARIANNE (sortant )
MARIANNE FRANCOIS MARIANNE FRANCOIS MARIANNE FRANCOIS MARIANNE
( FRANCOIS soupire, fronce les sourcils, essaie de se concentrer sur ses documents, tape un peu à la machine. Sonnerie du téléphone. Il décroche. )
FRANCOIS (sourdement )
Jamais tranquille ! ( à l’appareil ) De la part de qui ? Je vous l’appelle. (va à
la porte ) MARIANNE ! MARIANNE !…Tu m’entends ? Pouh ! il faut que je
descende, maintenant. ( disparait, bruits de voix, reparait, prend l’appareil) Elle arrive… Du tout. C’est à quel sujet ? ( entre MARIANNE ) La voilà… Tiens. (s’assied, hostile, dans un coin )
MARIANNE
( inquiète ) Allo ? ( contente ) Ah ! rebonjour ! Comment ça se passe ? … Tant mieux ! Voulez-vous que je vienne les prendre ?… Quelle bande ? ( à FRANCOIS ) – Il a mis les enfants autour d’une table, avec du papier, des crayons de couleur – ( au téléphone ) Fantastique ! Comme vous vous occupez bien des enfants ! Vous êtes un ange. J’arrive…Quelle idée ! En tout bien, oui… ( raccroche ) Mon Dieu … ce garçon est étrange… il me met mal
à l’aise. Antipathique.
FRANCOIS
MARIANNE
Ecoute, à ceux qui prennent les enfants, je passerais n’importe quoi. Enfin,
presque. Tu sors ?
FRANCOIS
MARIANNE
Je vais le délivrer des enfants. Chacun son tour. Il faut rendre. Je n’ose pas
te demander de m’accompagner… FRANCOIS
Si tu y tiens…
MARIANNE
Profites-en pour travailler. Je les emmènerai au parc. Tu seras plus
tranquille.
( FRANCOIS, subitement tendre, se lève, embrasse MARIANNE )
Je crois que ça vient. Merci.
FRANCOIS
MARIANNE
Qu’ai-je fait au bon Dieu pour avoir des enfants pareils. Ils vivent sur moi. Ils me prennent ma santé. Je les adore. Mais quand ils sont loin, en sûreté,
quel bonheur ! J’ai l’impression, enfin, d’exister. Mon chéri ? FRANCOIS
OUI ?
MARIANNE
Je vais te dire. Je ne suis pas une mère. Je suis une vamp !
( l’embrasse goulûment ) Devine ce qu’on va faire demain, à la même heure ?
FRANCOIS
Mais…
MARIANNE
BENJAMIN est au cinéma avec une nouvelle amie, FLORENT est invité à l’anniversaire d’un camarade, rue des Marronniers : une maison avec un grand jardin : des gens tout ce qu’il y a de bien. Pourvu qu’il ne se jette pas
trop sur les gâteaux, qu’on me le réinvite. FRANCOIS
Tu n’as pas honte ?
MARIANNE
Du tout. D’ailleurs, j’en connais un qui ne sera pas mécontent… Je t’ai
acheté un nouveau numéro, avec des créatures de rêve. FRANCOIS
Tais-toi !
MARIANNE (rieuse )
Des blondes, des brunes et… une rousse, couverte de taches de rousseur,
plus bas que le nombril. Je sais que tu aimes ça. FRANCOIS
Allons…
MARIANNE J’aime quand tu es gêné. Ca m’excite !
FRANCOIS
Phénomène !
MARIANNE
Tu es un ennuyeux. Hier, j’ai été abordée dans la rue. Un monsieur trés chic. Ton genre, tiens, mais en plus gai…Tu n’accosterais pas les filles, par hasard
? Si je te voyais, je te crèverais les yeux en public.
FRANCOIS Qu’est-ce que tu vas chercher ?
MARIANNE
Flattée intérieurement, je prends un air très digne. J’attends de me trouver à la hauteur d’un groupe de passants. Je me retourne vers lui et je lui lance,
en pleine figure, de manière à ce que tout le monde entende : vieux beau ! FRANCOIS
Eh bien !
MARIANNE
Tu en as de la chance ! Tu pourrais me dire merci.
Merci quand même.
FRANCOIS
MARIANNE
Si tu avais vu la tête qu’il a faite… Je riais sous cape. Les gens l’ont regardé comme s’il m’avait fait de mauvaises manières. Il a traversé la rue, la queue entre les jambes. Tralalalala ! Tralalalal !Il me semble que si j’avais une belle fille comme ça , devant moi, je ne la laisserais pas danser toute seule. ( FRANCOIS tente de l’embrasser ) Bas les pattes ! C’est trop tard, mon vieux. Je suis attendue. Trompe-moi avec ta machine. C’est fou ce que je dois être
humble. Passer après les petits caractères.
( Elle sort. FRANCOIS reste debout un instant, puis s’attable, essaie de travailler, en vain, soupire, s’allonge pour se détendre, se relève, s’attable de nouveau, tape enfin à la machine )
+++
3
( Rien n’a changé. FRANCOIS tape toujours à la machine. Entre MARIANNE, la mine défaite, les mains nerveusement serrées. )
FRANCOIS Qu’est-ce qu’il t’arrive ?… Eh bien ?
Je ne peux pas te dire. Quoi donc ?
Je n’en reviens pas. Rien de grave ?
MARIANNE FRANCOIS MARIANNE FRANCOIS
BARTHELEMY LENOIR m’a… T’a…?
Oh ! quand j’y pense…
selevantentre deux
états ) Il t’a agressée ? Oh ! ce n’est pas possible ! Il t’a violée !
Tu plaisantes ? Explique-toi.
Il m’a fait une déclaration. Ah ! bon.
MARIANNE FRANCOIS MARIANNE
MARIANNE FRANCOIS MARIANNE (scandalisée ) FRANCOIS MARIANNE FRANCOIS
FRANCOIS (
Il m’a caressé la jambe.
FRANCOIS
La jambe ? Il y va un peu fort. Pourquoi la jambe ?
Il m’a pris la main.
Et puis ?
Et puis quoi ?
Il ne t’a rien pris d’autre ? Rien.
Remets-toi. Les enfants ?
En bas.
MARIANNE FRANCOIS MARIANNE FRANCOIS MARIANNE
FRANCOIS ( s’assied, rassuré )
MARIANNE (s’assied en soupirant )
FRANCOIS
Non. Pendant ce temps là, où étaient-ils, les enfants ?
Dans le jardin.
MARIANNE
MARIANNE
FRANCOIS
Décidément, je ne peux pas te laisser cinq minutes. Combien de temps
êtes-vous restés ensemble ?
MARIANNE Je ne sais pas. Trois-quart d’heure.
FRANCOIS Trois-quart d’heure à vous tenir la main ?
MARIANNE ( allant et venant ) N’exagère rien. Avant, il m’a passé sa bande.
FRANCOIS
MARIANNE
FRANCOIS ( prenant un stylo )
Attends, mon chou. Ne t’affole pas. Etant donné sa situation, il est difficile
Sa bande ?
Son enregistrement des enfants.
de lui en vouloir.
Je ne lui en veux pas.
MARIANNE
FRANCOIS
Seulement, je désire comprendre : son comportement, le tien. Je vais
prendre des notes, sur le vif… Alors, tu arrives, tu sonnes… MARIANNE
Non.
Comment ?
Le loquet était mis. J’entre…
Et tu le trouves…
A sa table. Il écoutait l’enregistrement.
Décris-moi l’intérieur.
Et la décoration ? les tableaux ? ) MARIANNE
Mais tu y es déjà venu.
Une fois. Je n’en ai plus qu’une impression vague.
FRANCOIS MARIANNE FRANCOIS MARIANNE
FRANCOIS
MARIANNE
Il était en désordre. Un désordre trés spécial de célibataire. Des journaux dans tous les coins, des papiers de sécurité sociale. Seuls les bibelots
d’HELENE ont été laissés scrupuleusement à leur place.
FRANCOIS ( prenant des notes )
FRANCOIS
absorbée )
Tu m’imposes là un drôle d’exercice…Derrière le canapé il y a … le portrait d’HELENE, une croute peinte par l’un de leurs amis et, sur le mur du fond, une gravure sous verre, une litho, un peu érotique, dans le style de la Renaissance : un couple enlacé, dans la position du foetus, assis , les pieds
MARIANNE (
contre les fesses, les bras autour des genoux, la tête baissée. FRANCOIS ( achavant de noter )
Parfait. Continue…
MARIANNE
Il m’a demandé si je voulais du café. Aprés il m’a fait écouter
l’enregistrement de sa conversation avec les enfants. ( On entend l’enregistrement )
VOIX D’EMMANUEL C’est l’histoire d’un manchot violet.
VOIX DE FLORENT
Il habitait dans un jardin zoologique, là où il y a des éléphants.
DE BARTHELEMY
Il est prisonnier ?
VOIX DE FLORENT
Il veut rentrer chez lui, au Pôle Nord, dans son igloo.
VOIX
VOIX D’EMMANUEL
Retrouver sa femme qui est très triste. L’éléphant sort. Il ouvre la porte,
prend le pingouin avec sa trompe et le ramène dans une cage.
VOIX DE FLORENT Non, dans une baignoire. Je suis un éléphant.
Ah bon ?
VOIX DE BARTHELEMY
VOIX D’EMMANUEL
Non. Je suis un bonhomme.
VOIX DE BARTHELEMY
Et une fille, c’est quoi ?
C’est un bonhomme.
Tu es sûr ? Elle est un peu différente de toi.
Papa.
Mon chéri.
Il pleut de la grêle.
Tu as des copines ?
Oui.
Elles sont pareilles que toi ?
VOIX DE FLORENT Les filles c’est pas pareil que les garçons.
Ah bon ? pourquoi ?
VOIX DE FLORENT VOIX DE BARTHELEMY VOIX D’EMMANUEL VOIX DE BARTHELEMY VOIX D’EMMANUEL VOIX DE BARTHELEMY VOIX D’EMMANUEL VOIX DE BARTHELEMY
VOIX DE BARTHELEMY
MARIANNE C’est à ce moment là qu’il m’a caressé la jambe.
FRANCOIS ( se Comme ça ? ( silence de MARIANNE ) Est-ce qu’HELENE est consciente ?
MARIANNE
C’est exactement la question que je lui ai posée quand il m’a caressée.
FRANCOIS
Alors ? comment va-t’elle ? Son état ne peut qu’empirer.
MARIANNE
Elle est consciente de tout: que sa vie fout le camp, que la leur est
déséquilibrée.
Et BARTHELEMY ?
FRANCOIS
MARIANNE
lève, va à MARIANNE )
Il s’est excusé. HELENE ne peut plus marcher. Elle me culpabilise. Je lui ai
écrit plusieurs fois. Pas la moindre réponse. Peut-être je l’ennuie. Il faudra que je me décide à aller la voir chez sa mère.
Je te plains.
FRANCOIS
+++ 4
Alors ?
C’est un scandale !
Pourquoi ?
MARIANNE
FRANCOIS
( FRANCOIS à table, mange. Entre MARIANNE ) FRANCOIS
MARIANNE, FRANCOIS
Elle est énorme : un éléphant de mer. J’ai dû entrer dans la baignoire avec elle. D’abord j’ai enlevé ma culotte qui était mouillée, puis mon soutien gorge. Finalement j’étais nue avec sa mère pour la porter. Je crois qu’HELENE était contente car elle n’était pas seule en cet état. A un moment je me suis mise à rire. J’ai dit… ( Fou-rire de MARIANNE. Malaise de
FRANCOIS qui mange comme quatre )
FRANCOIS
Eh bien ? ( MARIANNE a un rire nerveux, il ne parvient plus à mastiquer )
MARIANNE Ce pourrait-être un mauvais film porno : Na…
Arrête…Bois.
FRANCOIS ( au comble de la gêne )
MARIANNE ( buvant de travers) Nanas dans la baignoire. Ah ! ah ! Tu ne trouves pas ça drôle ?
Ne…
Elle a ri…
Tu devrais te reposer.
FRANCOIS MARIANNE FRANCOIS
MARIANNE
Dans le bain, je lui ai demandé : tu es bien ? Elle m’a répondu :
super !
Elle parle argot ?
FRANCOIS
MARIANNE
Oui, depuis toujours. A cause de ses rapports avec les jeunes, sans doute.
Elle s’exprime normalement ? D’une voix de petite fille.
Elle vit une nouvelle enfance.
FRANCOIS MARIANNE FRANCOIS
MARIANNE
Dans l’eau, elle s’est détendue. J’ai dit à sa mère : elle est retournée dans
votre ventre : elle flotte.
FRANCOIS Ma chérie, tu me complexes : une sainte !
MARIANNE
Il n’y a qu’une chose importante sur terre : rendre aux autres la vie plus
légère.
FRANCOIS
Avec moi, tu y réussis à merveille. Sauf lorsque tu me donnes de violentes
taloches.
Pardon de t’avoir peiné.
MARIANNE
FRANCOIS
Tu sais, pour supporter tes coups de gueule sans broncher, il faut de
l’énergie. Tu voudrais qu’aprés avoir reçu une volée de bois vert, je chante comme un pinson. D’ailleurs, après l’histoire de PATRICIA, tu as fait la tête pendant quarante-huit heures.
MARIANNE
Dis, de la manière dont tu m’avais traitée…Je voulais que tu comprennes. Je suis enchantée ! C’est tombé au bon moment. Maintenant que tu commences à sortir beaucoup, tu sais ce qui t’attend…( l’embrassant ) On s’aime, on est heureux…Quand je serai morte, tu pourras prendre qui tu
voudras.
Ne dis pas de bêtises.
FRANCOIS
MARIANNE
C’est un point important. Au diable la morale bourgeoise ! Je suis bien
revenue de mes jugements d’autrefois. FRANCOIS
Vivre est si difficile.
MARIANNE
Tu veux dire que la vie est une chose atroce. Et puis, à nos âges, nous ne
pouvons plus recevoir que des coups : parents, enfants, maladies.
FRANCOIS
Nous avons déjà vécu une vie. Tu t’es mariée. Je t’ai. Nous avons des
enfants.
Qui restent à élever.
MARIANNE
FRANCOIS
Nous les voyons déjà avec leur personnalité. Bien sûr, ils peuvent évoluer,
en bien, en mal.
MARIANNE Hélas, plus en mal qu’en bien.
FRANCOIS Tout dépend. Sur le long terme.
MARIANNE
Quand je pense qu’à trente ans passés nous les aurons peut être encore sur
les bras.
FRANCOIS
Regarde BARTHELEMY, sans situation, avec en plus EMMANUEL
sur les bras
S’il me font ça, j’en mourrai.
Ce ne sera pas précisément le moment.
MARIANNE FRANCOIS
MARIANNE Il vient de toucher son dernier salaire.
FRANCOIS Aussi, pourquoi est-il parti ?
MARIANNE
Ironique, sachant tout sur tout, il a dû se mettre dans une situation
impossible. Je le haïssais, et puis tu vois, maintenant… FRANCOIS
Maintenant ?
Je l’aime.
Tu m’étonnes.
J’ai une très bonne relation avec lui.
MARIANNE FRANCOIS MARIANNE FRANCOIS
Pourtant, il n’a pas changé. Toujours aussi pénible.
MARIANNE
Pauvre chat. Il est comme ça parce qu’il veut paraître fort. Avec HELENE, il a épousé sa mère. La malheureuse, elle a vécu le martyre. Elle se savait perdue et le voyait si fragile, incapable de faire face à la situation, seul, avec EMMANUEL. Un jour elle m’avait dit : il est épouvantable. Je préfèrerais qu’il
ait n’importe quelle maladie, plutôt que cette dépression.
FRANCOIS
Mais, est-ce qu’il buvait avant qu’elle ne soit malade ?
Je crois.
FRANCOIS Alors, tel qu’il est, il a réussi son coup ?
MARIANNE
MARIANNE
Comment ?
Avec toi…il voulait te séduire. Je prends n’importe quel pari, disait-il.
MARIANNE Aussi, j’ai été honnête. Je le lui ai dit.
FRANCOIS
Il triomphait.
MARIANNE Pas mécontent. Je n’avais plus de meilleur ami.
FRANCOIS Dés que j’ai un ami, tu me le prends.
MARIANNE
Ah ! tu es jaloux.
FRANCOIS
Un peu. Il faut que tu te mettes en avant. Tu m’écartes. Au téléphone, tu m’arraches l’appareil. Par lettres, j’ai du mal à suivre le flot de tes
FRANCOIS
correspondances.
Pour dire des banalités, tu te poses là. Les gens préfèrent être avec moi.
MARIANNE
Merci.
FRANCOIS
MARIANNE ( rieuse )
Ne t’en va pas. Tu as de grandes qualités. Il n’y a pas dans Paris journaliste plus consciencieux. D’ailleurs, à la maison, tu es en progrès. Je regrette de
ne pas t’avoir attrapé plus tôt et plus souvent. FRANCOIS
De mieux en mieux.
MARIANNE
Toujours à te ménager. Ce n’est pas une bonne solution. Elle n’est pas dans ma nature. Je suis une cogneuse, moi, et tu m’as transformée en infirmière
pour grand prématuré. Je veille à ne pas te blesser. Je pèse mes mots. FRACOIS
Pour ça, il font le poids !
MARIANNE
Dis. Toutes les fois où je me suis retenue. Tu rentrais sinistre, et moi, je faisais la contente. Je t’avais préparé des gâteaux. Monsieur ne l’ouvrait pas. Le genre : « je ris jamais. » Fortifié derrière tes chaussures immaculées, le pli de pantalon impeccable, le gilet boutonné telle une soutane, les lunettes cerclées de fer, et la raie dans les cheveux, bien droite, comme une aiguille. Pour un peu tu aurais mis ton parapluie sur la table, à côté de ton rond de
serviette.
N’importe quoi !
FRANCOIS
MARIANNE
Je vais te dire. Tout ton charme, c’est de m’avoir.
FRANCOIS
Parlons-en de ton charme. Je vis sur mes souvenirs. Que de hontes ! Tiens, il y a un mois, chez mon directeur de publication , ce malaise que tu as simulé à l’issue du repas. Nous sommes partis en catastrophe, à peine avalée la dernière petite cuillère de parfait moka. Ils voulaient appeler un médecin. Je ne savais plus où me mettre. J’avais toutes les peines du monde à me composer une figure adaptée à la situation. Et toi, tu te trouvais si mal que tu prenais à toutes vitesse le chemin de porte, à reculons, l’oeil vif, les joues fraiches : des pommes du Canada !
MARIANNE
Ecoute, la vie est trop courte pour qu’on en perde une seconde avec des gens insipides, qui vous expliquent comment ils ont acheté leur chalet en montagne, leur villa au bord de la mer, tout ça en comptant à leurs enfants
le nombre de barres de chocolat et le poids du steak haché. FRANCOIS
Alors, il fallait ne pas venir.
MARIANNE
J’oublie. Je crois toujours que je me suis fait des idées. Et puis, je ne vois
vraiment pas pourquoi tu te plains. Tu m’as épousée pour ça. FRANCOIS
Ca quoi ?
MARIANNE
Ma fantaisie, mes sautes d’humeur. Je me rappelle, tiens, le jour où j’ai enfin cédé à ta demande en mariage. Nous sommes entrés dans une auberge pour déjeuner. Tu as commandé…je ne sais plus…une omelette aux
champignons, du saussiflard, des gâteaux. Et moi…
FRANCOIS
Un thé au citron, un grand chocolat, une menthe à l’eau.
MARIANNE Je ne t’ai pas pris par surprise.
J’ai ri.
conjoint.
Difficile.
FRANCOIS
MARIANNE
FRANCOIS
MARIANNE
Eh bien ris ! ( se jette au cou de FRANCOIS ) Mon chéri, que je suis
contente de t’avoir mis le grappin dessus. FRANCOIS
Tu es exclusive.
MARIANNE
Entièrement. Vois HELENE, son mari m’empêchait de devenir son amie. Il me gênait. On ne peut pas être amie d’une personne dont on hait le
Mon Dieu, ce pauvre BARTHELEMY, je me demande comment il pourra faire
l’amour aprés avoir vu HELENE telle qu’elle est devenue. Il devra trouver vite une femme. Pour lui, j’aimerais être l’interim d’HELENE.
( bruit dans les combles. FRANCOIS saute sur le canapé et frappe comme un fou contre le plafond. )
Bien dormi ?
+++ 5
FRANCOIS ( dejeune, entre MARIANNE )
Nuit blanche.
Moi aussi. Je me suis réveillé au moins trois fois.
J’ai ecrit à BARTHELEMY. Ah…
FRANCOIS
MARIANNE
FRANCOIS
MARIANNE ( tendant la lettre )
Tiens ( FRANCOIS pose la lettre et continue de manger ) Tu peux lire.
FRANCOIS
Un instant. Ca va me couper mon petit déjeuner.
MARIANNE
Moi, je n’ai pas faim. La vue de la nourriture me répugne.
FRANCOIS Désolé, mais j’ai besoin de me sustenter.
MARIANNE Toujours manger. J’aimerais être morte.
FRANCOIS
( Résigné, pose le bol, prend la lettre qu’il lit par bribes entre ses dents ) La journée commence bien. Voyons… » Cher BARTHELEMY… c’est affreux…j’ai tout compris…Je me suis aussitôt voulu de la manière froide, sèche avec
laquelle je t’avais répondu…
MARIANNE ( grave )
MARIANNE (agacée, prend la lettre ) Donne-moi ça. Tu es sinistre.
FRANCOIS
Le sujet.
MARIANNE ( avec coeur )
« Si j’avais su, je t’aurais ouvert les bras, je t’aurais embrassée avec effusion,
je t’aurais invité à pleurer sur mon épaule… » ( FRANCOIS gêné reprend son bol. MARIANNE interrompt sa lecture, l’air désapprobateur )
Ca va être froid.
(s’excusant)
MARIANNE elle soupire, se domine, reprend )
« Tu sais, avec FRANCOIS, nous attachons une grande importance à notre couple, nous lui attributons une valeur sacrée. Avec ses hauts,ses bas, il est ce qu’il est, mais nous avons le sentiment que si nous ne le respectons pas, alors tout s’effilochera dans notre vie. Je t’offre donc ce que je peux t’offrir : mon amitié. Encore qu’il y ait un mot à inventer entre amitié et amour pour exprimer ce qu’éprouvent un homme et une femme unis par un sentiment fort. FRANCOIS ne s’en formalisera pas. (FRANCOIS avale de travers ) Quoi ?
FRANCOIS
Rien…c’est excellent…je veux dire d’une grande générosité…voilà,
généreux…continue.
FRANCOIS
MARIANNE
Quant à EMMANUEL, tu peux compter sur moi dès la rentrée. Je t’en prie, n’hésite pas à me demander n’importe quel service. Je serai trop heureuse de t’aider enfin. Je suis honteuse de ma lâcheté. Aller au chevet d’HELENE était au-dessus de mes forces. Tu vois, étrangement, c’est ton geste audacieux qui m’a déterminée à me rendre près d’elle. Tu as envoyé un énorme pavé qui a cassé la glace entre nous. Je ne pense pas qu’elle puisse jamais se reformer. Ton stéréotype a volé en éclats. ( FRANCOIS boit avidement une autre gorgée ) BARTHELEMY, voilà. Je t’ai écrit l’essentiel.
Je t’embrasse tendrement, tout au bonheur d’avoir trouvé un ami. » pleure ) Qu’en dis-tu ?
(elle
Heu…ce que j’en dis ?…
Tu crois qu’il comprendra ? Heu…oui. Ca me parait asez clair.
MARIANNE
J’aimerais lui faire sentier exactement ce que je ressens.
FRANCOIS
Je …je crois que tu y arriveras…enfin, tu en prends le chemin.
FRANCOIS MARIANNE
FRANCOIS
( la bouche pleine )
MARIANNE
( avec élan, elle étreint FRANCOIS qui regarde dans le vague, l’air mi figue
mi raisin ) Pauvre chat !
+++ 6
( FRANCOIS est à sa table de travail. Entre MARIANNE
FRANCOIS D’où sors-tu ? Comme tu es chic.
MARIANNE
D’où sors-tu ? non, mais dis, je puis être une femme du monde. Qu’est-ce
que tu crois ?
Je crois. Je crois. Embrasse-moi. Tout de suite. Mieux que ça. Là.
Encore. Explique-moi…
Quoi ?
Ce tailleur…
FRANCOIS MARIANNE FRANCOIS MARIANNE FRANCOIS MARIANNE FRANCOIS
MARIANNE (l’embrassant langoureusement ) FRANCOIS
Oui ?
Où l’as-tu pris ?
Il ne te plaît pas ?
Là n’est pas la question. Alors, quelle est la question ? Combien ?
Dis un chiffre.
Mille francs ?
Hum !
Mille cinq cents ?
Hum !
Deux mille ?
MARIANNE FRANCOIS MARIANNE FRANCOIS MARIANNE FRANCOIS MARIANNE FRANCOIS
FRANCOIS MARIANNE FRANCOIS
MARIANNE
Pourquoi pas trois mille ?
Tu te moques de moi.
Je t’habille ta femme. Tu devrais être flatté.
Très !
Il ne m’a rien coûté.
Comment ?
C’est le tailleur de sortie d’HELENE.
Quoi ? Enlève-ça ! Doucement .
Tout de suite ! Aïe !
FRANCOIS MARIANNE FRANCOIOS MARIANNE
FRANCOIS Je ne veux plus te voir dans cette tenue.
MARIANNE FRANCOIS MARIANNE
FRANCOIS MARIANNE FRANCOIS MARIANNE
Mais tu es fou. Lâche-moi !
Cette robe est un linceul.
Elle te fait peur ? Du tissu, rien que du tissu.
FRANCOIS Je vois HELENE en surimpression.
MARIANNE Tu me déçois. Je pensais te plaire.
FRANCOIS
C’est raté.
MARIANNE Ce que tu peux être compliqué.
J’ai étreint une morte. Bien vivante il me semble.
FRANCOIS MARIANNE
Comment peux-tu avoir des idées aussi saugrenues ?
MARIANNE FRANCOIS MARIANNE
FRANCOIS
MARIANNE
EMMANUEL rentrait cet aprés-midi. J’ai vidé les placards, qu’il ne découvre
pas les vêtements de sa mère.
FRANCOIS Et BARTHELEMEY t’approuve ?
Tout à fait.
Ca m’aurait étonné.
Il a d’abord résisté, puis il m’a dit : ça m’est égal.
MARIANNE FRANCOIS MARIANNE
FRANCOIS
Egal, égal. Pas si égal que ça. Il a une idée derrière la tête, je ne sais pas où, je me comprends. Ca ne doit pas lui déplaire, à lui, de te voir porter les
vêtements de sa femme.
MARIANNE
Tu as l’esprit tordu. Vivante, HELENE était une relation. Morte, elle est devenue une amie. Si je pars la première, je laisserai ma garde-robe à la
disposition de mes amies.
FRANCOIS
Pardon…je me sens agressé. BARTHELEMY, toi, HELENE…comment veux-tu
que je m’y retrouve ?
MARIANNE (se regardant dans la glace )
Tant pis. Je le donnerai à ma soeur. ( fait un pas ) C’est vrai. Je ressemble à HELENE.
Trop à mon goût.
lue.
Et alors ?
Etrange. Elle si dame, si raisonnable…c’était une amoureuse.
FRANCOIS
MARIANNE
Elle a été aimée. Elle aura au moins connu ça dans sa vie. Au milieu de ses corsages, j’ai retrouvé une lettere de BARTHELEMY. Je n’ai pu résister. Je l’ai
FRANCOIS MARIANNE FRANCOIS MARIANNE FRANCOIS
Pourquoi non ? Oui, pourquoi ?… Va-te changer.
MARIANNE ( avisant un bouquet de fleurs )
Quand tu m’achètes des fleurs, ne prends pas plus de deux couleurs. Sinon c’est très laid. Je te l’ai déjà dit.
+++
7 MARIANNE
Je n’ai pas pensé une seconde que tu irais.
De quoi vais-je avoir l’air ?
BARTHELEMY, c’est ce chat.
Alors, raconte ce repas.
FRANCOIS
MARIANNE
FRANCOIS
MARIANNE
BARTHELEMY m’a posé la question : que va penser ton mari ? Rien, lui ai-je
répondu. Hier, il s’est forcé, il est venu. Bien sûr, il n’a dit que des banalités. FRANCOIS
En de telles circonstances.
Il était gêné. Il a fait ce qu’il a pu.
FRANCOIS
Je reconnais…En partant, quand tu l’as embrassé en lui disant : mon chéri,
ça m’a troublé.
MARIANNE
Pauvre petit chat écorché. Tu as vu ses mains ? des mains de vieillard, maigres, avec les os, les veines apparentes. Il m’attire. Quand j’avais huit ans, j’ai rencontré, au retour de l’école, un petit chat malade. Un gendarme s’en est approché, lui a donné un violent coup de pied. Malgré ce, il ne parvenait pas à mourir. Il se tordait. Cette image m’est restée, insupportable. Depuis, le spectacle de la souffrance me rappelle cette scène.
MARIANNE
Dément. Jusqu’au milieu, ça allait. On parlait d’HELENE. Et puis, il est devenu
agressif, sans raison. J’ai compris qu’il était ivre. Pourtant, il avait peu bu. Mais il est si fluet. Deux verres le grisent. Nous avons essayé de le calmer. Il déraillait, n’achevait plus ses phrases, devenait inaudible. Allongé sur le
divan, il s’est endormi.
Le nombre de ses amis m’épate. Si tu mourais, il n’y aurait personne.
MARIANNE
C’est ce que j’ai dit à BARTHELEMY. Tu sais ce qu’il a répondu ?
Dis toujours.
Je serais là.
Lui ? pour me consoler ?
Il faut croire.
Là, les bras me tombent. Mais il ne peut pas me piffer.
FRANCOIS
FRANCOIS MARIANNE FRANCOIS MARIANNE FRANCOIS
MARIANNE
Quand je suis partie, il m’a dit : tu vas retrouver ton mec.
FRANCOIS Tiens, en voilà une preuve. Pas très flatteur.
MARIANNE
Mais si. Un mec, c’est un homme, quelqu’un qui roule des mécaniques.
FRANCOIS
Oui, oui, mec est cavalier. Il t’aime, quoi. Dans mec il y a une touche de
dédain, d’hostilité.
MARIANNE
Le pauvre. Tu vois bien qu’il dit n’importe quoi. Je lui ai répondu : non. Je
vais retrouver un mari et un ami.
FRANCOIS
Un mari, un ami…pas de place pour l’amour, là au milieu.
MARIANNE
L’amour, je vais te dire, il s’agit d’une relation fausse. Rien de plus faux que toutes nos lettres d’amour. Chacun vante l’autre pour mieux se faire
mousser soi-même.
FRANCOIS
Non. Je ne suis pas de cet avis. Etre amoureux, c’est être jeune. Il y a dans
l’amour un charme qui s’empare de toute la personne, qui te porte.
MARIANNE Oui, mais ça ne dure pas. ( un temps )
FRANCOIS
A quoi penses-tu ?
MARIANNE
A ce que j’ai vécu ces dernières années. ( un doigt sur la gorge ) Je l’ai
encore là.
Tu regrettes ta vie de jeune fille : Dix-sept ans ?
MARIANNE
Dix-huit : l’année de mon entrée en fac. Tiens, le premier jour , je me suis acheté : L’Amant de Lady Chatterley et un gros saucisson dans lequel j’ai
mordu à pleines dents. La liberté.
FRANCOIS
MARIANNE
C’était bon. J’étais insouciante. Mais je ne peux plus sentir les jeunes filles : elles sont sottes, pleines d’illusions.
FRANCOIS
Quelles illusions ?
MARIANNE
Je rêvais que j’étais tout pour toi, que nous vivions un amour grand, unique. J’étais aveugle. Voilà. Je n’aime plus être amoureuse parce que je sais que je
vais être déçue. Mais j’aime l’amitié.
FRANCOIS Oui, je sais. Je suis réduit à l’état d’ami.
MARIANNE
Le premier. C’est bien ce qu’il y a de plus important.
FRANCOIS
Côte à côte avec les autres, inférieur même à ton amie d’enfance, la
sexualité en plus.
Tu sais, à l’hopital, tu as abîmé ton image. Oui, c’est vrai, j’étais malade. Tu m’en voulais.
MARIANNE
FRANCOIS
MARIANNE
Nu, tu parais un athlète. On n’imaginerait pas que tu as eu tant d’accidents.
Que d’imprudences, de provocations ! Tu te déprécies.
FRANCOIS
Il y a en moi un feu, une violence qui ne cessent jamais. Soit je meurs…
MARIANNE
Tais-toi !
FRANCOIS Je m’effondre. Soit j’avance. Pas de milieu.
MARIANNE C’est bien ce qui m’épuise. Tu es excessif.
FRANCOIS
Je te trouve trés indulgente avec BARTHELEMY. Tu me juges avec une autre
sévérité.
Je ne suis pas marié avec lui.
Comme tu es à plaindre.
Je me suis plainte. Mon entourage m’a assez entendue.
Moi pas ! Crois-tu que je ne ressentais rien quand tu étais en sana ?Je me suis rongé.
FRANCOIS MARIANNE FRANCOIS
MARIANNE
MARIANNE
Quoi que tu dises, moi je n’avais pas choisi d’être malade.
FRANCOIS Parce-que j’ai choisi de crever ?
Absolument !
Superbe !
MARIANNE FRANCOIS
MARIANNE
Qui te demande de sauver le monde ? Dans ton journal, tu t’obstines à
défendre des gens qui ne te sont rien, et tu laisses en plan ta famille. Tu n’as pas un métier -ce serait trop simple- mais une vocation. Moyennant quoi toutes les occasions te sont bonnes pour prendre des coups à charger les moulins. De ta femme tu fais une veuve; de tes enfants des orphelins. Mais ce sont les tiens, alors tu ne les vois pas.
FRANCOIS
Mais si, je les vois. Je ne vois que vous ! Je vois le mal que je vous fais.
Plutôt, le bien que je ne vous fais pas. Vous êtes mon fardeau le plus cher. MARIANNE
Montre-le nous !
FRANCOIS
Vous me voulez vivant. Il faut que j’agisse. L’action me régénère.
Elle me rend généreux. Au journal, mes papiers sont massacrés. Alors, j’écris à la maison, c’est vrai, le soir tard, le samedi, le dimanche, en vacances. Je trouve mon identité.
Nous perdons la nôtre !
MARIANNE
comprendrais. Facile !
MARIANNE
FRANCOIS MARIANNE FRANCOIS
J’espérais gagner.
Quoi ?
Le succès ! Plus d’une fois je l’ai frôlé. Je voulais te l’offrir.
MARIANNE
Le succès, je m’en fous. C’est un mari, un père pour mes enfants que je
veux.
FRANCOIS
Tu les aurais eus après, et davantage. Une fois imposé, j’avais les mains libres, comprends-tu ? Les portes s’ouvrent toutes seules.. Plus besoin de les forcer. Et puis, les efforts récompensés s’acceptent. Tandis que là… Quoi que tu dises, le succès transforme.Il nous aurait transformés. Tu me
FRANCOIS
Tu es injuste. ( la prenant contre soi ) MARIANNE, cessons de nous déchirer. Nos plaies cicatrisent. A quoi sert de les rouvrir. Nous sommes ensemble. Réjouissons-nous. ( MARIANNE a les larmes aux yeux.
FRANCOIS la chatouille pour la faire rire de force. ) MARIANNE
Laisse-moi.
Non. Ris. Va, un bon coup. Ris !
FRANCOIS
J’ai cent ans.
MARIANNE ( voix cassée ) FRANCOIS MARIANNE FRANCOIS MARIANNE (nerveusement ) FRANCOIS
Ah !
Encore.
Ah !
Mieux.
Ah ! Ah ! Ah !
Ah!Ah!Ah! (laserrantdanssesbras ) Monamour.
MARIANNE
FRANCOIS Tu te défends encore très bien.
MARIANNE
Je me défends, comme tu dis. J’avais mon petit succés. Mais, dans les soirées, les garçons se dirigeaient vers mon amie. Imagine BLANCHE DE
CROISSY, le genre de fille qui fascine.
FRANCOIS BLANCHE, c’est une sirène. Je la vois avec une queue.
MARIANNE Et ses grands yeux bleu clair, fendus.
FRANCOIS MARIANNE FRANCOIS MARIANNE
CIRCEE. Ils envoutent.
Je le lui dirai.
Ne me ridiculise pas.
Elle sera ravie, j’en suis sûre. Moi, j’ai pris dix années.
FRANCOIS
A l’instant, je te trouve jeune.
MARIANNE Il faut aussi que cela m’arrive. On me le dit.
FRANCOIS
Tu vieillis de dix ans d’un coup, mais tu remontes parfois cinq ans en
arrière. Il y a peu, dehors, au soleil, brusquement j’ai vu un faisceau de petites rides. Tu ressemblais à une jeune vieille. Sympathique.
MARIANNE
Comment suis-je encore en vie ? Ces dernières années j’ai cru être morte. Marcher m’était pénible. Je me demandais si je ne devrais pas m’aider de
cannes anglaises.
De quoi ?
Des cannes sur lesquelles le bras, les coudes prennent appui.
Tu veux rire ?
FRANCOIS MARIANNE FRANCOIS
MARIANNE
Vraiment, c’est bien ce que je pensais. Tu ne t’es pas rendu compte de mon
état.
FRANCOIS
Ma chérie, quand je t’ai épousée, bien sûr je te trouvais jolie… à ta manière, mais, ta fantaisie surtout m’a attiré. Je me disais : la beauté passe. Si l’on épouse une femme pour sa beauté physique, dix ans, quinze ans plus tard, on se retrouve avec un être qui a perdu sa fraîcheur, avec lequel il va falloir
vivre jusqu’à la mort, sans plaisir. Triste perspective. MARIANNE
Je suis une femme à découvrir. Si l’on m’y invite, je bats le briquet.
FRANCOIS
Ton terrain, c’est la conversation. A table, avec deux, trois, six personnes au plus, tu faits merveille. Tu tiens ton petit monde à ta main, à ta parole plutôt. Ton oeil brille.
Tu te métamorphoses. Pourtant, j’ai les yeux petits.
MARIANNE
FRANCOIS
Maintenant, ils sont en veilleuse. Mais ils ont aussi leur position code, plein phare :
soleils emballés.
Tu m’as toujours dans la peau ?
Dans la tête.
Et dans la peau ? C’est le plus beau compliment que j’aie reçu.
MARIANNE FRANCOIS MARIANNE
FRANCOIS
Toujours. Je crois que je discuterais avec toi, ainsi, sans fin. Tu me reprends sur mon comportement, mes réactions. Mais j’ai des circonstances atténuantes : il faut te
suivre…
J’ai un grain, je le reconnais.
Et de jolies jambes !
MARIANNE FRANCOIS MARIANNE
Parfaites. C’est ton père qui me l’a dit. Nous étions à peine fiancés. Je ne savais plus
où me mettre.
FRANCOIS Sur la table, histoire de mieux les montrer.
MARIANNE
Quand j’y pense…
FRANCOIS
Et la rose arrachée au bouquet du salon, pour la glisser derrière l’oreille ?
MARIANNE
Quel sans-gêne ! Ta pauvre mère, je ne correspondais vraiment pas à ce qu’elle attendait. Ils n’en sont pas revenus, dans ta famille. Toi, si rangé, ramener une fille
pareille…
Rangé, mais subversif.
FRANCOIS
MARIANNE
Je n’avais rien de la petite bourgeoise, avec ses perles autour du cou et dans la
bouche.
Tu sèmes la révolution.
Je ne supporte pas l’ennui.
Variété, jusque dans le plaisir ?
FRANCOIS MARIANNE FRANCOIS
MARIANNE
Une fois pour toute, je te dis que j’ai décidé de ne connaître qu’un seul homme, de
rester vierge. Vierge ?
FRANCOIS
MARIANNE
Vierge de tous les hommes qui ne sont pas toi. Je te respecte trop pour t’infliger
des concurrents.
FRANCOIS
Tu parles d’un sport ! Au dernier sprint, BARTHELEMY l’emporte sur FRANCOIS
d’un coup de reins supérieur. Je n’ai pas l’esprit de compétition. MARIANNE
Oh si ! Tu me défies. Toi !
Toi !
Bonsoir.
FRANCOIS MARIANNE FRANCOIS
Si seulement tu comprenais…
FRANCOIS Quoi ? Plus tu m’engueules, plus tu m’aimes ?
Voilà.
Ton amour est insurpassable.
Avoue que j’ai raison. Comme ça nous avons une relation vivante.
Cuisante !
FRANCOIS
+++ 8
MARIANNE
MARIANNE FRANCOIS MARIANNE
( MARIANNE est à sa correspondance. FRANCOIS entre une cage à la main, avec un pigeon )
Tu es ridicule. Ridicule ?
Avec ce pigeon.
MARIANNE FRANCOIS MARIANNE FRANCOIS
Et toi, avec ton chat.
Moi, j’aime les animaux.
Moi aussi, là.
Laisse-moi rire.
Je suis d’un drôle, en ce moment. Je n’arrête pas de te faire rire.
Un rire nerveux.
Qui me tape sur le système.
FRANCOIS
MARIANNE
Non, mais quelle idée d’attraper un pigeon et de le mettre en cage.
FRANCOIS
Quelle idée de prendre un chat et de le mettre chez le voisin.
Il est en liberté.
Et moi ? je suis en liberté ? Tu deviens fou ?
MARIANNE FRANCOIS MARIANNE
MARIANNE FRANCOIS, MARIANNE FRANCOIS MARIANNE
FRANCOIS
Non. JE SUIS fou ! Regarde-le. C’est moi qui suis en cage. Pas lui. Il se goberge, comme avant. Il est content. Ah ! Il m’a joué un bon tour. Il m’emmerdait sous les
tuiles. Il m’emmerde dans l’appartement. MARIANNE
Tu n’as qu’à le relâcher.
François
Pour qu’il triomphe ? Non ! Un de ces quatre matins je vais lui tordre le cou.
MARIANNE
Il faut te soigner.
FRANCOIS
Je suis incurable. La vie, c’est la mort. J’en crève. A la fois je veux vivre et je veux
mourir.
Ne me dis pas ça ! Il y a un an, jour pour jour, HELENE tombait dans la rue.
FRANCOIS ( au pigeon ) Alors, mon gaillard. Si je te faisais cuire ?
Stupide !
A la broche. Tout vivant. Sadique !
MARIANNE FRANCOIS MARIANNE FRANCOIS
MARIANNE
Et moi ? je ne rotis pas, peut-être ? Vois, je me tords. L’angoisse ne me quitte pas. J’en ai assez d’être un pantin !
MARIANNE
Elle avait une peur terrible de la mort. Le médecin lui avait proposé de l’endormir.
Elle n’a pu s’y résoudre.
Dormir. Ne plus penser. Mourir…
S’il n’y avait pas les enfants…
FRANCOIS MARIANNE FRANCOIS
Ils n’échapperont pas. Personne n’échappe. La naissance est un naufrage. Nous
nous cramponnons à ce que nous pouvons.
MARIANNE Je voudrais leur épargner la souffrance.
FRANCOIS
Au bout, il y a la marée du soir. Elle nous emportera tous, nous jettera sur les rives
de l’éternité. Prions d’être avec eux. ( se met à danser pesamment ) MARIANNE
Qu’est-ce qu’il te prend ?
FRANCOIS
Je passe le temps. Un, deux, un deux, un deux…Une minute de gagnée, ça n’a pas
de prix.
MARIANNE
L’hiver approche. La terre va durcir. Le marbrier de la tombe d’HELENE a pris du retard. Une voisine va donc piétiner le sol, chaque jour, pour qu’il soit bien lisse et
qu’on y pose la dalle.
FRANCOIS
Mardi, nous avons rendez-vous chez le notaire. Nous signerons l’acte de leg au
premier mourant.
Je serai plus tranquille.
MARIANNE
FRANCOIS
Une bibliothèque historique avec encyclopédie, livres pieux, érotiques, des pots à
pharmacie, une pendule à portique, des fleurs séchées, des opalines au serpent… (posant la cage sur le canapé ) Pigeon sur canapé…
MARIANNE
Un secrétaire, un sous-main, des bijoux fantaisie, une gravure à la poupée…presque
rien.Tu donneras ma broche d’or à MARIE-FRANCE et ma correspondance.
FRANCOIS
Ma chevalière changera de main et mon anneau sera trop grand.
MARIANNE
BARTHELEMY m’a dit : depuis qu’HELENE est morte, je n’ai plus à passer par le
tamis de quelqu’un.
Il se retrouve.
Un peu perdu.
Mais plus léger, libre de suivre ses impulsions.
Et toi, tu as l’impression de passer au travers d’un tamis, avec moi ? FRANCOIS
FRANCOIS
MARIANNE FRANCOIS MARIANNE
Souvent, je me refrène.
MARIANNE
Moi, je me vois plutôt comme un bouclier. Je me porte en avant, je prends les
coups, persuadée que je protège ceux qui sont derrière…Ne te sauve pas. FRANCOIS
Je vais à la boite aux lettres. Tu attends du courrier ? Non.
Alors ?
MARIANNE
MARIANNE
FRANCOIS
FRANCOIS
Alors, on ne sait jamais. Il peut arriver quelque-chose, un peu d’imprévu.
J’y suis passée.
Rien ?
Rien d’intéressant. Toujours des factures ? Oui…et une carte.
MARIANNE FRANCOIS MARIANNE FRANCOIS MARIANNE
DE ?
…BARTHELEMY. Qu’est-ce qu’il devient ?
FRANCOIS MARIANNE FRANCOIS
MARIANNE FRANCOIS MARIANNE FRANCOIS MARIANNE FRANCOIS MARIANNE FRANCOIS
Déboussolé.
Ce n’est pas nouveau.
Il devait être plein d’aquavit.
C’est bien ce que je disais.
Il m’appelle : chère ange.
Chère, ERE,
Oui.
Avec lui, au moins, les anges ont un sexe.
MARIANNE
Il devait bien penser que, cette carte, tu avais une chance sur deux de la lire.
FRANCOIS Tu parles d’une chance : provocation.
MARIANNE
Distraction.
FRANCOIS Révélatrice. Quoi que tu dises, il n’est pas innocent.
MARIANNE Qu’est-ce que ça signifie : innocent ?
FRANCOIS
Chaste !
MARIANNE Mon pauvre ami. Connais-tu un homme qui ne voit pas la femme qui lui plait, nue
sur une peau de panthère ?
Moi, en ce moment.
C’est bien ce que je te reproche.
FRANCOIS MARIANNE FRANCOIS
Eh bien, laisse-moi, va voir PAUL; peut-être qu’il te touchera la jambe. On en
parlera. Ca nous fera une distraction.
MARIANNE Je ne me le fais pas dire deux fois. ( elle sort )
FRANCOIS ( se ruant sur la cage )
Ah ! tu es content ! tu te marres ! j’ai l’air d’un singe. Viens mon salaud ! viens mon
mignon ! ( ouvre la cage et prend le pigeon ) Pas si vite ! faut pas
être pressé comme ça ! là…Je vais t’en foutre des : chère ange. Tu as chaud, hein ? je vais te refroidir. Attends un peu. Ouvre le bec. Ouvre ! (enrageant ) Oooohhhhh… ( brusquement, comme effrayé d’avoir presqu’étranglé le pigeon, il ouvre la fenêtre et le relâche. ) Fous le camp ! (respire un grand coup et s’assied en prenant sa tête dans ses mains )
+++ 9
MARIANNE FRANCOIS MARIANNE
Tu as encore fait le joli coeur.
Le triste coeur.
Ca revient au même, en plus artificiel.
Je ne me force pas.
MARIANNE
Non. C’est une seconde nature, chez toi. Et tu es susceptible…
FRANCOIS
Pas du tout.
MARIANNE
Quand BLANCHE nous a demandé de nous laisser seules, tu l’as mal pris.
Par jeu.
FRANCOIS MARIANNE
FRANCOIS
Tu as été vexé parce que tu veux la séduire et qu’elle t’a remballé devant moi. FRANCOIS
J’ai raté mon coup.
MARIANNE
Une jolie femme peut faire ce qu’elle veut. Elle aura toujours les hommes à ses
pieds.
Ca n’a qu’un temps.
FRANCOIS
MARIANNE
Dieu sait combien je t’ai maltraité quand nous nous sommes connus, et devant
témoins. Tu as tout supporté.
FRANCOIS Quand on veut séduire, surtout il faut ne pas aimer.
MARIANNE
Ne va pas avec BLANCHE. Quelque-chose de très important serait cassé entre nous.
FRANCOIS
Mais tu dis n’importe quoi.
MARIANNE Tu veux coucher avec elle. Elle me l’a dit…
FRANCOIS
Elle t’a dit…
MARIANNE Elle m’a dit que tu cherchais à la séduire.
FRANCOIS Elle ne touche pas aux hommes mariés.
MARIANNE
BLANCHE ne reculera devant rien. Elle appartient à une autre génération qui n’a pas
le tabou du corps. Je crois qu’elle me considère comme un fossile. FRANCOIS
Moi aussi.
MARIANNE
Elle te sent flou, incertain. Non. Ce serait trop injuste. Elle est belle, riche, intelligente, elle a de beaux enfants, elle éclate de santé, et en plus elle prendrait le
mari des autres…
Ca ne la rend guère heureuse. Toujours à gémir au téléphone.
FRANCOIS
MARIANNE
Elle a de bons moments. C’est malheureux, mais je souhaite qu’il lui arrive un gros
pépin. Elle regarderait la vie autrement. FRANCOIS
Tu m’effraies.
MARIANNE Je le pense sincèrement. Je ne suis pas bonne.
FRANCOIS
Tu es généreuse.
( sonnerie du téléphone )
MARIANNE
Laisse. Ce doit être BLANCHE. Je devais passer chez elle. Allo ? Oui. Tu te sens seule. Il n’est pas venu. Non. Excuse-moi. Je suis trop fatiguée. Je t’envoie
FRANCOIS, il en meurt d’envie.
Mais…
Son cul !
Ma…A tout à l’heure. Bonne psychologie.
FRANCOIS (interloqué )
MARIANNE
( FRANCOIS sort en haussant les épaules ) +++
1O
MARIANNE (seule au téléphone ) Le voilà. ( raccroche et se remet à sa correspondance )
Pas encore couchée ?
FRANCOIS MARIANNE
FRANCOIS
MARIANNE
Pas de mais. Tu le sais très bien. ( au téléphone ) Rends-le moi intact. (raccroche )
Allez. Va chez BLANCHE. Tu en trouveras des femmes compréhensives comme moi.
FRANCOIS
Quoi ? Que veux-tu qu’il arrive ? Oui. Je vais aller discuter avec elle quelques
instants. Je n’ai pas envie de me coucher tôt. Sa psychologie m’intéresse. MARIANNE
Je n’étais pas fatiguée, par extraordinaire. Je t’ai envoyé chez BLANCHE comme une récompense, pour te distraire de tes ennuis professionnels.
FRANCOIS
Elle m’a dit : Il ne nous arrivera rien. MARIANNE est la plus forte. Elle maîtrise la situation puisque c’est elle qui t’a conduit ici. A ce qu’il parait, sa situation te fait
envie ? Oui.
MARIANNE
FRANCOIS
Tu m’as toujours assuré du contraire. Tu la plaignais car tu voyais sa volonté
annihilée dans ses aventures amoureuses, comme une droguée.
MARIANNE Ce qui est agréable, c’est d’avoir un sang neuf.
FRANCOIS
Alors tu envisages de faire l’amour pendant toute une nuit avec un garçon ?
Oui.
De mieux en mieux.
MARIANNE FRANCOIS
.
MARIANNE
Non. Tu ne me comprends pas. Ce qui est intéressant, c’est de recommencer à
aimer, de redécouvrir les premiers émois de l’amour. Je croyais que tu trouvais ça bête ?
FRANCOIS
MARIANNE
Bête, non. Indigne. Avec moi, ce n’est pas possible. Ceinture. Je me mépriserais
trop.
Alors, tu es fidèle par faiblesse.
FRANCOIS
MARIANNE
BLANCHE a fini par me dire que j’avais raison. Je serai tellement heureuse à
soixante-dix ans de n’avoir jamais couché avec quelqu’un d’autre que toi.
FRANCOIS Tu te prépares une vieillesse heureuse.
MARIANNE
Ce qui m’a peiné, c’est qu’elle m’a dit que tu pensais que j’avais été la maîtresse de
BARTHELEMY.
Oui.
Mais alors, tu as beaucoup souffert.
Beaucoup.
FRANCOIS MARIANNE FRANCOIS
MARIANNE
Comme c’est drôle. Tu vois, il m’a laissé tomber. S’il avait été ma vie, je serais désespérée. Or, bien sûr, je suis blessée. Mais il ne me manque absolument pas. En
revanche, j’ai toujours peur de te perdre. FRANCOIS
Je suis là.
MARIANNE
Avec toi, je peux parler, faire l’amour. Il y a plusieurs personnes en une.
FRANCOIS
Je suis ton couteau suisse.
Exactement.
Tandis que BLANCHE, quand elle n’a plus son ERIC, elle ne vit plus.
FRANCOIS Penses-tu. S’il part, elle en trouvera un autre.
MARIANNE Elle soutient le contraire, mais tu as raison.
FRANCOIS
Quand le premier s’est marié, elle a observé : je ne ressens rien.
FRANCOIS Elle n’est occupée que d’elle-même.
MARIANNE
C’est pour ça que j’ouvre l’oeil.
Le nez, les oreilles et le reste.
Elle m’a dit : nous n’avons parlé presque que de toi.
Comment, elle t’a dit ?
Qu’est-ce que tu crois ? Elle m’a aussitôt téléphoné.
MARIANNE FRANCOIS
MARIANNE FRANCOIS MARIANNE
FRANCOIS
Alors, tu es contente.
FRANCOIS
MARIANNE
Oui. Mais je crois qu’il s’agit d’une défense. Seul devant une femme belle, désirable,
tu te protèges. Peut-être.
FRANCOIS
MARIANNE
Je suis lucide. On ne peut pas me le reprocher. J’ai horreur de l’hypocrisie envers
soi-même.
FRANCOIS Heureusement qu’elle existe, l’hypocrisie.
FRANCOIS ! pas toi.
Sans elle, la vie serait invivable.
Qu’est-ce que tu me chantes ?
MARIANNE FRANCOIS MARIANNE
Tiens, hier, à la messe, le prêtre a dit qu’en communiant, nous mangions le corps du
Christ, nous devenions l’Eglise.
MARIANNE
Il me semble que tu vas moins volontiers à l’office.
FRANCOIS
Je vais constater mes imperfections. Ca devient presque du sadisme. A chaque fois, je vois que je suis un salaud. Comme ça ne s’arrange pas d’une semaine sur l’autre,
FRANCOIS
je me trouve de plus en plus salaud. MARIANNE
Chéri.
FRANCOIS
Rends-toi compte du supplice. On te donne des sens, on te met au milieu de tout
ce qui peut les satisfaire, et on te dit : surtout, n’y touche pas. MARIANNE
De temps en temps.
FRANCOIS
Pour rester honnête, il faudrait qu’on t’enferme dans une cellule, les fers aux mains
et aux pieds, des images pieuses plein les murs, et encore, pas de madones.
MARIANNE
J’espère que je mourrai la première, et qu’une fois les enfants casés, tu rentreras au
couvent. Je serais tranquille.
FRANCOIS
Si j’étais sûr de l’être, je m’y rendrais tout de suite. En attendant, je suis comme un conscrit qui a tiré un mauvais numéro. Je paie pour qu’on fasse le service à ma place : pour les indochinois, les sinistrés, les lépreux, les affamés . J’ouvre ma bourse et je ne lésine pas. Je crois que je vais me faire artiste. Dieu doit être plus indulgent, il me semble, pour les artistes : un peu comme pour les ivrognes. Ils ont un grand coeur, une sensibilité maladive. Ils sont touchés plus qu’aucun autre par la beauté,
par l’amour. Divin !
MARIANNE
FRANCOIS
Ils construisent un peu des idoles, mais charmantes, spiritualisées. Ils sont faibles
par spontanéité, par tendresse. Bref, ils pèchent par générosité.
Explique-moi ça.
Le commun des mortels s’attache à la création…
A la créature…
Si tu veux…pour son plaisir.
Tandis que l’artiste…
MARIANNE FRANCOIS
MARIANNE
MARIANNE
FRANCOIS
FRANCOIS
L’artiste cherche de l’inspiration. Comment veux-tu qu’il décrive les passions s’ils ne
les a pas vécues ? Il travaille d’après nature. MARIANNE
Il se brûle les ailes.
FRANCOIS
Un peu seulement. Le bon Dieu y verse à temps ce qu’il faut d’eau bénite.
Du moins, tu le penses. Ce serait bien.
Et si ce n’est pas le cas ?
MARIANNE FRANCOIS MARIANNE FRANCOIS
Vois la Renaissance italienne : les papes, les évêques ont couvert de commandes religieuses CELLINI, BOTTICELLI qui perdaient leur argent au jeu, vidaient coupe sur coupe dans les tavernes, mettaient en feu de jolies filles qu’ils peignaient peu aprés en madones. Et GESUALDO, prince de Venosa…
MARIANNE
Eh bien ?
FRANCOIS
Compositeur de messes, il découvrit l’infidélité de sa femme et la tua.
.MARIANNE
Ce qui m’effraie, c’est que, si je meurs, tu épouses une jeunesse qui t’arrache un petit ou que tu te croies obligé de lui en faire un. Tu n’as plus l’âge d’élever un
enfant. Il te prendrait le peu de forces qui te restent.
FRANCOIS Rassure-toi. Ce n’est pas toi qui l’élèvera.
MARIANNE
Hum ! j’ai envie de te mordre au creux des reins. Tu ne trouves pas que je suis belle.
Et dangereuse.
Quand j’aurai perdu mes kilos…
Je me demande si tu ne maigris par pour un autre.
FRANCOIS MARIANNE FRANCOIS
MARIANNE
Malin !
Mais non. Jusqu’à présent, tu étais avec moi, et tu ne maigrissais pas. Pourquoi
FRANCOIS
maintenant ?
MARIANNE
Parce que j’ai recommencé à vivre. On croyait que j’étais morte. Tu vas voir. Il me reste quatre mois. Je m’achèterai un nouveau maillot. Pas un deux pièces. Il ne faut
pas demander l’impossible. Mais un nouveau, quand même. FRANCOIS
Tu ne me dis pas tout.
J’ai ma vie.
Ainsi, là, actuellement, tu as des secrets ?
MARIANNE
Mon Dieu, j’ai certainement des petites choses. Mais pas le corps. Avec moi, tout se
passe dans la tête et dans le coeur.
FRANCOIS
Et moi, je pourrais très bien avoir un sentiment fort, sans que le corps s’en suive.
MARIANNE
Ne te moque pas de moi. Pour mon compte, je suis sûre. J’ai ma conscience lisse
comme un oeuf d’ivoire.
Tu as passé un bon dimanche ? Excellent ! Embrasse-moi !
FRANCOIS MARIANNE
MARIANNE FRANCOIS
FRANCOIS
Malgré ta vie privée ? ( lui prenant la tête dans les mains ) Dire qu’il y a des idées, là, que je ne connais pas. ( lui mettant la main sur le coeur ) Et là, un petit coffret
dont je n’ai pas la clef.
MARIANNE Chez moi, tout est dans le flux de l’âme.
FRANCOIS
Du lit principal, il y a de petits canaux de dérivation ?
Moi je ne peux pas.
MARIANNE FRANCOIS MARIANNE
Devine.
Le bon Dieu s’y retrouve ?
Le bon Dieu, je ne sais pas. Moi, en tout cas. J’ai confiance en moi.
Et toi, tu as confiance en moi ?
MARIANNE ( hésite ) Dans l’ensemble, oui. Du moins dans bien des domaines.
FRANCOIS Ne nous interrogeons pas sur les autres.
+++
11
MARIANNE ( écrivant )
Bonsoir chéri. C’est gentil de rentrer à l’heure. Il y en a tant qui vont chez les putes. FRANCOIS
FRANCOIS
MARIANNE
Je t’en prie !
FRANCOIS
Toute règle souffre exception. Tes pieds sur le canapé ! Tu es incorrigible.
MARIANNE
Quelle journée ?
FRANCOIS
Epuisante. Mieux vaut n’en pas parler. Toujours les mêmes emmerdements dans ce
foutu journal. Et toi, pour changer, tu écris. MARIANNE
A mon amie.
FRANCOIS Qu’est-ce que tu trouves encore à lui dire ?
MARIANNE
Des petits riens : ma vie.
FRANCOIS Si je comprends bien, tu vis par correspondance.
Interroge-toi.
Et BLANCHE ?
Elle sort d’ici.
Tiens, dommage. J’aurais aimé lui dire bonjour.
MARIANNE FRANCOIS MARIANNE
FRANCOIS
MARIANNE souffrir. Ca ne peut que lui faire du bien.
FRANCOIS Tu tiens des propos irresponsables.
MARIANNE FRANCOIS MARIANNE
Ce n’est pas le moment.
Pourquoi ?
J’en connais un qui va passer un mauvais moment.
FRANCOIS
Qui ?
MARIANNE
Un mari. BLANCHE a décidé de tout dire à BERNARD.
FRANCOIS
Tout ?
MARIANNE
Il ne faut rien exagérer. Tout de son aventure avec ERIC. Ca me parait déjà énorme.
Pauvre BERNARD.
Bien fait.
MARIANNE !
FRANCOIS MARIANNE
Il est trop sûr de lui. Il a toujours l’air de se moquer du monde. J’espère qu’il va
FRANCOIS
MARIANNE Non. BLANCHE espère qu’il retrouvera la parole.
FRANCOIS
Il est comme le mari de CLAIRE. Finalement, beaucoup d’hommes ne parlent pas.
MARIANNE
C’est normal. Tu parles pour avouer une faiblesse ou ta fragilité. Les hommes se
réfugient dans le silence comme dans une forteresse. FRANCOIS
Moi, je suis sans défense.
MARIANNE
Tu passes d’un extrême à l’autre. Le mutisme ou l’épanchement.
FRANCOIS
Quand je me tais, je me sens seul. Quand je parle, sur le moment, je me sens bien.
Aprés, j’ai une impression de grande solitude.
MARIANNE
Si j’étais à la place de BLANCHE, je ne pourrais pas supporter de vivre avec BERNARD sans vie parallèle. Elle vit avec une sorte de père. Je prendrais un ami.
Mais de mon âge. J’en changerais assez souvent pour ne pas m’attacher.
FRANCOIS ( regardant par la fenêtre du côté de chez BLANCHE )
Ils sont ensemble. BERNARD est rentré. Je préfère être à ma place qu’à la sienne. MARIANNE
Qu’en sais-tu ? Ca peut t’arriver.
Tu as fini de procéder par allusion. C’est de trés mauvais goût.
FRANCOIS
MARIANNE
C’est bien ce que je dis. Tu me considères comme acquise.
FRANCOIS Qu’est-ce que tu veux au juste ? Des amants ? Je t’en souhaîte plein. S’ils doivent te
rendre heureuse.
Répète !
MARIANNE
FRANCOIS
Tu passes ton temps à me parler des liaisons que tu n’as pas eues à cause de moi,
comme si j’en étais le responsable. Mais je ne veux pas te priver, moi. Si je dois en entendre parler toute ma vie… Je ne force personne.
MARIANNE Attention ! tu es en train de me persuader.
FRANCOIS
Pour une fois où tu m’écoutes, ça t’arrange. D’ailleurs, tu pourras comploter à ton
aise avec CLAIRE. Elle passe demain.
MARIANNE Je ne veux pas la voir de la semaine.
FRANCOIS
Pourquoi ?
MARIANNE
Parce qu’elle va me pousser son chant d’amour à l’adresse du nouvel homme de sa
vie, alors que nous avons des ennuis jusque-là.
FRANCOIS Mais, voir des gens heureux, c’est réconfortant.
Avec moi, c’est tout le contraire.
MARIANNE
FRANCOIS
Eh bien, dis-toi que son bonheur de maintenant prépare son malheur de demain.
Le piège se referme. Pense à BLANCHE à cette heure.
MARIANNE En fait, c’est vrai. Tu as parfaitement raison.
FRANCOIS
Comme toujours.
MARIANNE Tu te souviens du dernier repas chez BLANCHE ?
FRANCOIS
A quel sujet ?
MARIANNE
Je ne parle pas de la façon stupide dont tu as voulu te rendre intéressant, mais du
polytechnicien.
L’homme au noeud papillon ?
Il a été plaqué par sa femme.
Avec qui ?
Comme toujours. Pense à CLAIRE. Avec son meilleur ami.
Et moi, quel est mon meilleur ami ?
FRANCOIS MARIANNE FRANCOIS MARIANNE FRANCOIS
Toi ? Tu n’en as pas.
FRANCOIS Une chance, si je comprends bien.
MARIANNE Tu sais, j’ai encore perdu cinq cents grammes.
FRANCOIS
MARIANNE ( lui donne une claque )
FRANCOIS
FRANCOIS
Lesquelles ?
MARIANNE (faussement sérieuse ) C’est tout ce que tu trouves à dire ? Si je te prenais sur le fait..
Ca devient grave.
Que je ne t’y reprenne pas !
Tu es folle !
MARIANNE roulais sur le lit, devant moi, avec deux de mes amies.
MARIANNE
Ce matin, tu es parti trop tôt pour que je te raconte mes rêves de la nuit. Tu te
Eh bien ?
Je ne sais pas ce que je te ferais.
Le ver est à l’oeuvre chez tous les couples.
FRANCOIS
FRANCOIS MARIANNE
Tu dis ça pour me consoler ?
D’une certaine manière, oui.
Et pourquoi?
Parce qu’il arrive qu’on soit jaloux de ce qui n’en vaut pas la peine.
MARIANNE
Jaloux ?
FRANCOIS Il suffit d’attendre. Tu gagneras nécessairement.
MARIANNE Pourquoi ce serait à moi d’attendre ?
FRANCOIS
Je parle en général.
MARIANNE Je croyais que le péché décuplait le plaisir.
FRANCOIS
Ou le tue. Satisfaction et insatisfaction sont également insupportables.
MARIANNE
Excuse-moi. Je suis fatiguée. J’ai vraiment envie de prendre un bain.
Ne t’excuse pas.
MARIANNE FRANCOIS MARIANNE FRANCOIS
FRANCOIS
MARIANNE Tu te plains que le bruit de l’eau te dérange.
FRANCOIS
Quand je travaille. Là, je vais lire le journal. Je suis incapable d’autre chose.
MARIANNE
Tu mangeras sans moi. J’irai directement au lit. Je me fais un masque.
FRANCOIS
Entendu.
MARIANNE
Je me casse un jaune d’oeuf sur le tête et me mets un jus de citron sur le visage.
FRANCOIS Je t’embrasse maintenant. Aprés, quelle vision.
MARIANNE
C’est pour toi, mon cher. Pour te garder une femme avec des cheveux brillants et
une jolie peau.
Je te trouve jeune.
FRANCOIS
MARIANNE
Mon Dieu ! tu me désespères quand tu dis ça. Tu comprends, ça ne peut pas durer
indéfiniment.
FRANCOIS
Mais aprés, il y aura toujours la fraicheur de tes réparties.
MARIANNE
Compte sur moi. Et ne t’avise pas de me quitter. D’ailleurs, j’irais te chercher. Et
puis, ce qui me rassure, c’est que tu ne pourras pas te marier à l’église et, pour toi, c’est important.
FRANCOIS
Trés.
MARIANNE
Je serais capable de me suicider sur votre palier. Que vous ayez des souvenirs
tenaces ! Que mon sang empoisonne votre amour !
FRANCOIS
Même si le mariage à l’église était possible, tu t’y présenterais, et au moment où le prêtre nous demanderait si nous voulons l’un de l’autre, tu enfoncerais un poignard dans ta poitrine, en poussant un grand cri. Le célébrant, au lieu de bénir nos
anneaux, serait obligé de venir t’administrer. Tu sais parfaitement ta leçon.
FRANCOIS
Bonsoir.
Tu es bien ?
Je me sens protégée, avec toi. Contre quoi ?
MARIANNE
( embrassant MARIANNE )
FRANCOIS MARIANNE FRANCOIS MARIANNE
Le malheur, peut-être. La solitude, sûrement. +++
Qu’est-ce qu’il t’arrive ? BARTHELEMY sort d’ici. Il t’a inquiétée ?
Il s’est mal comporté.
Il a voulu te…enfin…
12 FRANCOIS MARIANNE FRANCOIS MARIANNE FRANCOIS
( en pleurs )
MARIANNE
Non. Il joué au supérieur. Comme si j’ignorais tout de ses déboires. Qu’il manque
de simplicité avec moi, me peine. Il me traite comme une étrangère.
FRANCOIS Ma chérie. Tranquillise-toi. Il te reviendra.
MARIANNE FRANCOIS, tu mesures ce que tu viens de dire ?
FRANCOIS
Eh bien oui. Il te reviendra. Tu l’aimes d’un amour trop sage, trop raisonnable pour
qu’il te méprise longtemps. Mon chéri.
MARIANNE (repleure ) FRANCOIS
Mon amour. Qu’est-ce qu’il t’arrive maintenant ? MARIANNE
Mon chéri, mais tu m’aimes. Tu en doutais ?
FRANCOIS
MARIANNE
Je finissais par me le demander. Tu te mettais toujours le premier, et là, tu me
considères, sans penser à toi.
FRANCOIS
Ecoute cette musique. Elle me rappelle mes premières sorties. J’étais gauche, mal à
l’aise avec les filles.
MARIANNE
Tu étais beau. Avant que tu ne sois compliqué, je t’aimais bien. Aujourd’hui, quand je parle de toi, je dis : je suis marié à un prix de beauté. Les gens me regardent avec des yeux ronds. Je ne sais pas ce qui me prend, en ce moment, je suis amoureuse
de toi.
QFRANCOIS Tu es insultante. Qu’est-ce qu’il y a d’étonnant ?
MARIANNE Je te connais depuis si longtemps.
FRANCOIS
Ecoute ceci : on se lasse de sa femme, mais on se lasse combien plus vite des
femmes suivantes que la première est de toutes la plus précieuse.
MARIANNE
La voisine m’a dit : votre mari, il est changé. Il est détendu, simple. Il accepte de
venir prendre un verre, sans façons.
FRANCOIS C’est vrai ? tu me trouves changé ?
MARIANNE
Tolérant.
FRANCOIS
Que veux-tu, on n’arrive pâs à mon âge sans compromissions, lâchetés. J’ai tant à
me faire pardonner. Comment reprocher aux autres ce que je fais ?
MARIANNE
Finalement, on s’entend bien. Peut-être est-ce ce qui nuit au bon ronronnement de la machine familiale. Je n’ai jamais eu l’impression que nous étions une famille.
Nous sommes un couple et nous avons des enfants. Ce n’est pas pareil.
FRANCOIS
A l’inverse de BLANCHE et de BERNARD qui ont une vie avec les enfants et pas de
vie de couple.
Elle m’a téléphoné.
Ah, elle a réussi à t’avoir.
Pourquoi ? Elle a appelé quand j’étais sortie ?
FRANCOIS
OUI. Elle voulait te donner de ses nouvelles. Ils sont partis aux sports d’hiver. Je lui
ai demandé si elle était autonome…tu vois ce que je veux dire. MARIANNE
Ah ! Ah ! et qu’a-t’elle répondu ?
MARIANNE FRANCOIS MARIANNE
FRANCOIS
Que rarement elle avait été aussi proche de son mari. MARIANNE
C’est tout ?
Oui. Je ne me suis pas éternisé.
Et tu l’as crue ?
FRANCOIS MARIANNE FRANCOIS
Ca m’a paru étrange, la connaissant, mais il n’y a que quelques semaines qu’ils sont
partis.
MARIANNE
Que tu es naïf. C’est fait ! Elle a quelqu’un d’autre, un homme marié, l’associé de
BERNARD.
FRANCOIS
Aprés le meilleur ami, l’associé. Mais pourquoi ne me l’a-t’elle pas dit ?
MARIANNE
Pour préserver son image de marque. Elle m’a supplié de me taire. Je n’ai rien promis. Elle avait peur que tu la juges mal, que tu ne la comprennes pas. Ne fais pas
cette tête là.
Ca te plait de briser les miroirs.
FRANCOIS
MARIANNE
Quand ce sont des miroirs aux alouettes. La joie amoureuse me fait rigoler. La
partie est perdue d’avance. Petite peste !
FRANCOIS
MARIANNE
Grande peste. La marquise de MERTEUIL des Liaisons dangereuses. Souviens t’en.
Lorsque je t’avais remballé à notre première sortie. FRANCOIS
Sans doute.
Mais tu ne t’en souviens pas ?
Si.
Quel scandale ! Il ne se souvient de rien.
MARIANNE FRANCOIS MARIANNE FRANCOIS
Mais si. Je retiens en gros les sentiments.
MARIANNE
En gros !…je suis déshonorée. Il vaut mieux que je ne parte pas la première. Tu ne te
souviendrais de rien.
Assez discuté. Au travail.
FRANCOIS
MARIANNE
Mais que je l’aime, ce garçon. Je change d’avis. Laisse-moi mourir la première. Tu es
fort. Tu sauras souffrir après. Et puis, tu pourras te taper toutes les filles que tu voudras.
FRANCOIS
Je préfèrerais me taper toutes les jeunes filles d’abord et mourir en premier.
MARIANNE
Tu es un monstre.
Un monstre qui va s’occuper du travail de ses enfants. Tu en trouveras beaucoup.
MARIANNE
Chéri. Je suis entièrement satisfaite de toi. J’étais prête à aimer d’autres hommes, parce que tu n’étais pas un père. Maintenant que tu t’occupes des enfants, je ne regarde aucun autre homme. J’ai un papa. J’écrirai à la maison mère pour vanter la
qualité du produit.
FRANCOIS
Ca changera. Parce ce que, comme insanités sur mon compte, qu’est-ce que tu n’as
pas dit à tes parents et aux miens.
MARIANNE
Tu me faisais inquiéter. Bon. Je vais me coucher. Après tes leçons, je t’engage à en
faire autant.
Qu’est-ce que tu insinues ?
FRANCOIS
FRANCOIS
MARIANNE
Ah ! ah ! tu sais à quoi je pense ? Plus tard, quand on sera trop vieux pour faire
l’amour, on pourra toujours se faire rire. +++
13
MARIANNE (seule, au téléphone )
Tu es vraiment gentil…je l’attends d’une minute à l’autre. Il est allé conduire BENJAMIN à une boum..oui..déjà.. Qu’est-ce que tu veux, ça me parait trop beau qu’on l’ait invité. Il ne faut pas le couper de ses camarades au moment où il s’intègre…SONIA, une adorable brune, déjà formée, la première de la
classe…FRANCOIS en est trés fier…si elle pouvait le décider à travailler…Tais-toi…il ne sait rien. Il n’y a que FRANCOIS pour ne pas s’inquiéter. Cet enfant me désespère. Il me ressemble si peu…Tu es vraiment gentil.. et les maths aussi, je n’y entends rien…merci…Tu ne te grattes pas ?…des poux…à l’école…FLORENT en a plein. C’est encore EMMANUEL qui les lui a passés…moi aussi, je suis horrifiée…Tu vas me faire le plaisir de te passer le peigne fin..Je suis sûre que tu en as…Ne sois pas bête…si tu ne fais rien, tout le quartier sera infesté. Je n’ai pas envie d’en garder jusqu’à la Saint Glin-glin… ( riant ) Pas encore..il s’attend à trouver une odalisque ointe de mille parfums…ça me démange des pieds à la tête…Ah ! ah ! ah !…la Joconde !…Tu es vraiment gentil…Non ! une fois pour toutes…tu m’agaces ! ( raccroche sèchement ) Qu’il est sot ! ( tire les rideaux, ouvre le canapé-lit, se jette sur le peigne-fin, se coiffe devant la glace, se gratte, essaie d’écraser un pou ) Saleté ! un..deux…trois…et gros, et gras, oh ! ( pose le peigne, allume une grosse bougie odorante, déploie sur le canapé un couvre-lit en mouton ou lapin blanc, recommence à se gratter . FRANCOIS entre en trombe, se rue sur la HI-FI qu’il allume )
HI-FI …compositeur du temps de CHARLES 1°, roi d’Angleterre…
Zut !
Qu’est-ce qu’il te prend ? Trop tard !
Trop tard quoi ?
FRANCOIS (éteignant la Hi-Fi ) MARIANNE
FRANCOIS MARIANNE
FRANCOIS
La musique ! un morceau sublime ! il a duré tout le trajet du retour. Je voulais noter les références. Plutôt que d’attendre dans le garage, j’ai couru. Et puis voilà. C’est
raté.
A nous deux.
Et FLORENT ?
Chez BARTHELEMY.
Avec EMMANUEL ?
Sans.
Il le garde seul ?
Seul.
Il ne va pas trouver ça bizarre ? Normal.
Il m’a regardé avec un drôle d’air.
MARIANNE FRANCOIS MARIANNE FRANCOIS MARIANNE FRANCOIS MARIANNE FRANCOIS MARIANNE FRANCOIS
MARIANNE FRANCOIS
Tu l’as croisé ?
A l’instant, en bas de la maison.
Ha ! ha ! ha ! hi ! ho ! hou !
Tu étouffes. Arrête.
Pouh…je venais juste de lui téléphoner pour lui envoyer FLORENT.
Tu ne lui as pas dit pourquoi ? Bien sûr que si. Ha ! ha ! ha ! Oh !
MARIANNE MARIANNE FRANCOIS
MARIANNE FRANCOIS MARIANNE FRANCOIS
Tandis que tu courrais ?
A perdre haleine.
Ha ! ha ! ha ! ha !
Je ne me suis pas arrêté. Il m’a dit au passage : où est-ce qu’on court, comme ça ?
MARIANNE FRANCOIS MARIANNE
MARIANNE
Il a trés bien compris. Je lui ai fait remarquer : moi aussi j’ai mes fantasmes. Chacun
son tour.
FRANCOIS
Du propre !
Nous sommes mariés.
Nous oui. Qu’as-tu à le rendre témoin de nos ébats ?
MARIANNE
C’était ça ou rien. D’ailleurs il m’a répondu : c’est justice. Je demandais une demi-
heure. Il a protesté : non. Je garderai FLORENT une heure. Prenez votre temps.
FRANCOIS C’est le bouquet ! Je lui dois mes rapports avec toi.
Ha ! ha ! ha ! ha !
Il te prête à moi.
Ha!ha!ha !
Cesse de pouffer de rire !
MARIANNE FRANCOIS MARIANNE
FRANCOIS
MARIANNE cou…Hi ! Hi ! courir comme un fou…Ha !
FRANCOIS Oui. Bon. Je devais avoir l’air malin.
MARIANNE
Tout ça pour te jeter dans les bras d’une femme pleine de poux…
MARIANNE FRANCOIS
Ha ! ha ! ha ! hi ! hou ! C’est plus fort que moi. Ha ! Quand je pense qu’il t’a vu
Quoi !
Ha ! ha ! ha ! hou ! ho !
Des poux ? Tu as des poux ? Plein…Hi ! hi !
Mais alors, j’en ai peut-être. Regarde…Ha ! ho ! hi !
D’où tu les sors ?
FLORENT, EMMANUEL…l’école. Ecoeurant.
Attends, je t’aide.
Aïe !
Bouge pas !
FRANCOIS MARIANNE FRANCOIS MARIANNE FRANCOIS MARIANNE FRANCOIS MARIANNE FRANCOIS
MARIANNE ( lui passant le peigne fin ) FRANCOIS
MARIANNE
Tu as nettoyé le peigne ?
FRANCOIS
MARIANNE (regarde le peigne ) FRANCOIS
MARIANNE
En voilà un.
Oh !
A moins que ce ne soit l’un des miens.
FRANCOIS Laisse-moi. J’ai l’impression que ça me gratte.
Ne t’en va pas… Aïe !
MARIANNE FRANCOIS
MARIANNE
Non. Je crois que tu n’en as pas. Comme tu joues moins avec les enfants…bon,
oublions ça. Tu viens ?
FRANCOIS Je te dirais que l’envie m’est passée.
MARIANNE Allez. Ne te bloque pas pour si peu.
Tu en as de bonnes.
FRANCOIS
Ha !
MARIANNE
( pouffant )
FRANCOIS Quoi encore ? Tu me caches quelque-chose.
MARIANNE
Tu vas être furieux.
FRANCOIS
Au point où j’en suis. J’ai perdu mon morceau. Un morceau sublime : le paradis !
Entraînant, plein de vivacité, de surprises…achève.
MARIANNE
Tu ne vas pas être content, mais il m’a demandé : descends ensuite, que je voie
comment tu es aprés.
FRANCOIS
Voyeur ! (bruit dans les combles. FRANCOIS saute sur le canapé et tape avec rage
contre le plafond ) Saligaud ! J’aurais dû te tordre le cou.
MARIANNE
Descends ! J’ai horreur que tu cries comme ça. On dirait un anormal.
FRANCOIS
Je l’ai laissé s’échapper. Il est là pour toujours, maintenant.
MARIANNE Ignore-le. Bon. Je descends chercher FLORENT.
FRANCOIS
Tu n’as qu’à téléphoner.
BARTHELEMY m’a demandé de lui rendre sa bande.
MARIANNE
FRANCOIS Qu’il la reprenne. Je ne veux rien de lui.
Oh ! remets-la. Je voudrais entendre la fin une dernière fois. FRANCOIS
MARIANNE
Ca m’assomme.
Sois gentil, mon minet.
MARIANNE
FRANCOIS
Oh…si tu me parles comme à une chatte, je ne peux rien te refuser. Pendant ce
temps là, je m’habille.
Déjà ?
Il est sept heures. Tu as vu ma tenue ?
Grotesque.
De rigueur. Je l’ai louée.
Je l’espère bien.
Ca se porte encore dans le grand monde, figure-toi.
MARIANNE
MARIANNE FRANCOIS MARIANNE FRANCOIS
FRANCOIS
MARIANNE Ne compte-pas sur moi pour y mettre les pieds.
FRANCOIS Surtout pas. Je n’ai pas envie de me distinguer.
MARIANNE
Laisse-moi rire. Toi en pingouin.
FRANCOIS
C’est ça. Ris, mais en silence. ( met l’enregistrement et s’habille lentement, tandis
que MARIANNE s’étend sur le canapé. De temps en temps elle se gratte la tête )
VOIX D’EMMANUEL Alors, papa. C’est quoi ? Ca ressemble à un Pingouin ?
FLORENT
Ca ressemble à une giraffe.
VOIX D’EMMANUEL Moi j’ai envie d’une autre histoire.
VOIX DE
Celle du paon ? Oui.
VOIX DE BARTHELEMY
VOIX DE FLORENT ET D’EMMANUEL
VOIX DE BARTHELEMY
Il était une fois un paon qui vivait dans une grotte secrète où il avait une grande
difficulté à déployer sa queue.
( FRANCOIS, en habit, s’installe sur le canapé. MARIANNE pose sa tête sur ses genoux. Ils regardent au loin )
VOIX D’EMMANUEL
Il était malheureux.
Pourquoi ne peux-tu pas ouvrir ta queue ? dit le koala.
FLORENT Aprés, il décida de quitter sa maison.
VOIX DE BARTHELEMY
Et il a trouvé pourquoi il ne pouvait pas ouvrir sa queue ?
Non.
Si !
Alors ?
VOIX DE FLORENT VOIX D’EMMANUEL VOIX DE BARTHELEMY
VOIX D’EMMANUEL
qu’il l’ouvre.
Comment les décoller ?
Il faut trouver une formule magique.
Papa, tu peux défaire le noeud ?
VOIX DE BARTHELEMY
Je vais raconter l’histoire. C’était la petite souris qui avait collé ses plumes pour pas
VOIX DE BARTHELEMY VOIX DE FLORENT
D’EMMANUEL
VOIX DE
VOIX
Mreum. Mreum mia !
VOIX DE FLORENT
( les lumières baissent. Le canapé seul est éclairé comme un bloc de glace où MARIANNE et FRANCOIS dérivent. A l’avant-scéne, sur un rideau de gaze, se projette une vue du grand nord avec d’innombrables pingouins. )
VOIX D’EMMANUEL
Ecoute, papa. Ecoute…
( On entend faiblement, puis avec force, des cris de pingouins. Ouverture du fond de scéne. Perspective de banquise éclatée. Le canapé s’éloigne, à l’infini, jusqu’à n’être qu’un point blanc. Les cris des pingouins résonnent dans l’immensité désolée, puis se perdent. )
.
FIN
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